Depuis la mi-1998, le marché international du diamant fait l'objet d'une entreprise de moralisation unique en son genre. Présentée par ses promoteurs comme l'irruption de l'éthique dans le monde des affaires et de la politique internationale, cette entreprise n'est pourtant pas dénuée d'arrière-pensées.
Le Conseil de sécurité de l'ONU, aiguillonné par certaines ONG, mène en effet une véritable croisade contre les « diamants de la guerre ». Parfois qualifiés de « diamants du sang » ou de «diamants sales», ils sont à la fois le nerf et l'enjeu de plusieurs conflits africains parmi les plus atroces. Cette campagne s'est traduite par le vote, le 1er juillet 1998, d'un embargo contre les exportations de gemmes par le mouvement rebelle angolais Unita (Union pour l'indépendance totale de l'Angola). Deux ans plus tard, jour pour jour, les diamants écoulés par les rebelles sierra-léonais du Revolutionary United Front (RUF), rendus tristement célèbres par les mutilations qu'ils infligent à ceux qui leur résistent, ont fait l'objet d'une sanction similaire. Mais, quelle que soit la sincérité de ses animateurs, cette campagne émotionnelle, orchestrée sur fond d'images de malheureux aux bras ou aux poignets tranchés - les hideuses « manches courtes » ou « longues » -, n'en est pas moins partiale. A ce jour, elle ne vise que les guérilleros. Or ces derniers ne détiennent pas le monopole de la violence liée à l'exploitation et à la commercialisation des diamants. Les Etats, bien qu'ils soient engagés dans les mêmes conflits et qu'ils financent, eux aussi, leur effort de guerre grâce au produit de la vente des gemmes, sont étrangement épargnés - à l'exception de quelques petits pays faibles, de préférence choisis dans l'orbite francophone, dont les dirigeants sont accusés d'accointances avec les chefs de guerre rebelles. Il en va de même des entreprises minières qui offrent parfois les services de leurs armées privées en échange de concessions.
Il se trouve que cette croisade coïncide avec les intérêts d'empires miniers, exclusivement anglo-saxons, soucieux d'étendre leur hégémonie sur le marché ou d'écarter leurs rivaux. De plus, le choix du produit sur lequel porte l'embargo est loin d'être neutre : pourquoi le diamant et pas le pétrole, par exemple ? Le pétrole constitue pourtant la principale source de financement des achats d'armes lourdes par des régimes comme l'Angola ou le Soudan, dont l'aviation n'hésite pas à bombarder les populations civiles. La fièvre de l'or est, elle aussi, à l'origine de violences exercées par des sociétés privées sur les paysans ghanéens (1). Et la liste n'est pas exhaustive. Il est vrai que le diamant n'est pas un produit d'une importance stratégique comparable à celle du pétrole. D'usage ornemental ou industriel, remplaçable dans sa seconde fonction par le diamant synthétique, il ne joue qu'un rôle marginal dans l'économie mondiale : la totalité des importations de diamant brut de la place d'Anvers - par où transitent 80 % du commerce mondial - s'élevait en 1999 à 7 milliards de dollars, soit un peu plus que la valeur actuelle de la production d'or …
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