Françoise Pons - Monsieur le Président, le Sommet des chefs d'État et de gouvernement des Quinze, qui s'est tenu à Nice du 7 au 11 décembre dernier, a procédé à une réforme des institutions européennes en vue des prochains élargissements (1). A cette occasion, la tendance souverainiste des membres de l'Union européenne s'est confirmée, au détriment de l'esprit communautaire. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Romano Prodi - Par un refus de regarder la réalité en face ! La crise « souverainiste » de l'Europe a commencé il y a des années. Elle a été accentuée quand le Parlement européen a voté, en mars 1999, une motion de non-confiance à l'encontre de la Commission Santer. Depuis lors, l'idée selon laquelle l'Europe n'aurait pas besoin d'institutions supranationales s'est répandue dans tous les pays. Or cette tournure d'esprit met les États membres en contradiction avec eux-mêmes.
F. P. - Qu'entendez-vous par là ?
R. P. - Dans un contexte de globalisation accélérée, les institutions supranationales sont, à l'évidence, absolument nécessaires. Qu'on le veuille ou non, nombre de problèmes — environnement, sécurité alimentaire, commerce international, etc. — ne peuvent plus être gérés au niveau national. Il devient impossible, pour un pays isolé, d'y apporter des solutions efficaces. Pour se faire entendre, il faut s'inscrire dans une entité plus large. Dans notre cas, il s'agit de l'Europe. Du reste, quel pays ne nous a pas, à un moment ou à un autre, prié de défendre ses positions devant l'Organisation mondiale du commerce afin d'avoir plus de poids ? De même, après le naufrage de l'Erika, tout le monde, y compris la France, nous a demandé d'établir sur-le-champ une réglementation. Le même scénario s'est reproduit lorsque la maladie de la vache folle s'est déclarée. Les biens circulent, les gens se déplacent, les frontières ont de moins en moins de consistance. C'est pourquoi une réglementation commune devient nécessaire.
F. P. - Les États membres ne redoutent-ils pas que la construction européenne finisse par les entraîner plus loin qu'ils ne l'auraient souhaité ?
R. P. - L'Europe n'a pas été conçue pour poursuivre je ne sais quels buts mystérieux. Elle est tout simplement indispensable à la réalisation des objectifs de la France, de l'Allemagne et de chacun de leurs partenaires. N'y voyez pas de contradiction avec le respect du principe de subsidiarité. En vertu des traités, la Commission est compétente pour les seules actions qui ne peuvent pas être réalisées de manière satisfaisante par les États membres. Ma Commission n'a jamais eu l'idée saugrenue de donner de nouveaux pouvoirs à Bruxelles ou de construire un super-État. De même que chacun est convaincu du bien-fondé des économies d'échelle, pourquoi ne le serait-on pas pour, en quelque sorte, des « politiques d'échelle » ?
F. P. - Quel est donc, à vos yeux, le bilan du Sommet de Nice ?
R. P. - Les positions nationales ont prévalu sur les positions communautaires et l'Europe en est ressortie affaiblie. Comme on dit en Italie, « on a fait un pas plus …
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