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DITS ET NON-DITS DE LA CRISE MACEDONIENNE

Rarement un Etat aura autant fait parler de sa disparition prochaine. Depuis le référendum d'indépendance de septembre 1991, l'existence même de la République de Macédoine - petit pays multiethnique à forte minorité albanaise (entre 23 et 30 % de la population selon les estimations (1)) - fait en effet figure de réussite improbable dans une péninsule balkanique aux frontières bouleversées par l'éclatement de la Yougoslavie. Enserrée entre des voisins aux ambitions territoriales plus ou moins sincèrement abdiquées, Skopje était, jusque récemment, la seule des anciennes républiques yougoslaves à avoir fait sécession sans être entraînée dans un conflit armé. Depuis le début de la décennie, les observateurs occidentaux n'avaient pourtant pas été avares de scénarios catastrophe, prédisant un débordement imminent des guerres balkaniques vers ce miraculeux îlot de paix. Au fil des années, cependant, devant les démentis successifs infligés à ces prophéties, certains avaient fini par croire en la possibilité d'une exception macédonienne.
Avec l'ouverture, en février dernier, de plusieurs fronts de guérilla dans le nord-ouest du pays à l'instigation d'une nouvelle Armée de libération nationale (UÇK, Ustria Çlirimtare Kombëtare), la communauté internationale s'est donc retrouvée, une fois de plus, prise au dépourvu : on avait redouté des dérapages ethniques au printemps 1999, quand Skopje avait accueilli quelque 350 000 réfugiés albanais du Kosovo. Au lieu de cela, c'est au moment où la péninsule balkanique semblait devoir entrer dans une ère de sérénité relative, après le départ de Milosevic à Belgrade (le 5 octobre 2000), que la crise a éclaté. Il ne fallut toutefois pas longtemps aux experts pour se ressaisir et appliquer à la question de Macédoine un traitement éprouvé : d'une part, c'est en termes de « contagion » que le problème macédonien a été posé, la déstabilisation de l'Etat étant imputée à l'infiltration depuis le Kosovo d'anciens cadres de l'UÇK en mal de combat ; d'autre part, la faute principale a été attribuée au nationalisme albanais, dernier avatar des « haines ethniques » balkaniques dont on pensait qu'elles disparaîtraient avec la dictature de Belgrade (2).
Certes, on ne peut pas faire reproche à la communauté internationale de ne pas avoir compris l'urgence d'une réponse coordonnée à la crise macédonienne. Après quelques semaines de tergiversations, Américains et Européens se sont accordés sur une ligne commune : celle-ci souligne leur attachement à l'intégrité territoriale de la Macédoine, exclut toute négociation avec les maquisards de l'UÇK et appelle à un dialogue politique intensifié tout en promettant aux autorités macédoniennes une aide militaire au contenu encore mal défini. Hélas, la démarche de la communauté internationale présente des vices de forme qui hypothèquent ses chances de succès.
La première erreur est d'analyse. Se contenter de voir, dans les événements récents, le résultat d'une alliance entre des nationalistes rêvant d'une « grande Albanie » et des mafieux sans scrupules ne fait qu'alimenter un processus de diabolisation des Albanais peu propice à un examen méticuleux des dynamiques du conflit. Car la détérioration des relations intercommunautaires en Macédoine renvoie non pas à l'existence d'incompatibilités ethniques et …