Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE MEILLEUR DES MONDES, ACTE II

Michael Ledeen et Béatrice Laroche - Dans le plus illustre de vos ouvrages, vous exposiez la thèse selon laquelle nous aurions atteint La Fin de l'Histoire (1). C'est-à-dire que, selon vous, l'achèvement de la guerre froide constitue un changement fondamental dans l'Histoire humaine : les modèles alternatifs au libéralisme — absolutisme, fascisme, communisme... — ayant tous été discrédités, l'idéal de la démocratie libérale remporte un triomphe sans partage (2). Victoire idéologique qui, à terme, se traduira par sa diffusion à l'ensemble de la planète. Tout compte fait, et avec le recul des dix années écoulées, l'Histoire n'a-t-elle pas retrouvé un avenir ?

Francis Fukuyama - Nous sommes peut-être, en effet, au seuil d'une nouvelle dynamique, amorcée par le progrès scientifique. Malgré tout, la période actuelle reste dominée par l'idéal démocratique, même si quelques pays, de l'Irak à Cuba, s'obstinent à le défier. Quant aux grandes puissances, elles sont toutes, sous une forme ou sous une autre, sur les rails de la démocratie libérale et de l'économie de marché.
M. L. et B. L. - Depuis la publication de ce livre, quels sont les événements qui, selon vous, auraient pu faire redémarrer l'Histoire ?
F. F. - La crise financière en Asie représente le moment le plus critique de la dernière décennie. Ma théorie aurait pu se trouver ébranlée par cette crise qui nous a montré que le système financier international était beaucoup plus instable que nous ne l'avions cru. Mais les moyens mis en œuvre par la Réserve fédérale, qui a simplement procédé à un ajustement de la politique monétaire, ont permis de la juguler et nous avons vite réalisé que cet événement n'était pas aussi grave qu'il y paraissait de prime abord. Certes, l'édifice financier international, qui est au cœur du système capitaliste mondial, présente encore quelques failles. Il paraît toutefois peu vraisemblable qu'il puisse en résulter une crise mondiale du capitalisme.
M. L. et B. L. - Le mode d'organisation des sociétés humaines n'a cessé d'évoluer au fil des époques. Comment le succès de la démocratie libérale peut-il mettre fin à ce mouvement perpétuel ?
F. F. - Ce n'est pas nécessairement ce qui se produira et tel n'a d'ailleurs jamais été mon propos. J'ai simplement tâché de démontrer que, en l'état actuel des choses, il n'existait pas de mécanismes institutionnels viables qui soient fondamentalement différents des nôtres et qui puissent structurer une société plus satisfaisante que la société démocratique libérale moderne. Bien sûr, on peut toujours envisager d'autres formes d'organisation. Mais, compte tenu des aspirations humaines et de la nature même de la technologie, nos choix en matière d'institutions sont désormais des plus réduits.
M. L. et B. L. - Précisément, cette quasi-absence de choix est-elle compatible avec le principe démocratique ?
F. F. - En réalité, la démocratie libérale est porteuse de pluralisme. L'une des causes de son triomphe vient de ce que, plus que tout autre idéal, elle est capable d'évoluer, de s'adapter aux changements qui surviennent dans l'environnement global. Par contraste, les systèmes autoritaires …