Politique Internationale - Depuis des décennies vous combattez le totalitarisme, mais aussi toutes les formes d'étatisme et de dirigisme. Le héraut de l'individualisme libéral que vous êtes n'est-il pas satisfait de l'évolution du monde depuis une dizaine d'années ?
Jean-François Revel - A moitié. Car ce qui est inquiétant, voyez-vous, c'est que nous n'arrivons jamais à prévenir les catastrophes. Nous n'en tirons les conclusions qu'après coup. Comme je l'ai écrit dans La Connaissance inutile, publié en 1988, il a fallu que le socialisme fasse complètement naufrage pour que l'on prenne acte de cette faillite. L'être humain est pourvu d'un cerveau exceptionnellement développé ; quant à nos contemporains, ils disposaient, depuis plusieurs décennies, de tous les éléments d'analyse démontrant que l'économie collectiviste et administrée n'engendrait que la pénurie et le chaos. Comment se fait-il, dans ces conditions, qu'ils n'aient pas pris les devants et qu'il ait fallu attendre l'effondrement du communisme pour qu'on se rende à l'évidence ? Et encore, pas totalement. Malgré l'échec retentissant de l'économie administrée en Afrique, dix ans après la décomposition de l'Union soviétique et vingt-trois ans après le « virage commercial » pris par la Chine, certains s'obstinent toujours à dénoncer le libéralisme. Trouvez-vous cela encourageant ?
P. I. -La victoire de vos idées n'est-elle pas, néanmoins, éclatante dans les faits ?
J.-F. R. -Je ne pense pas qu'on puisse parler de « victoire des idées libérales », puisque le totalitarisme a réussi à s'imposer. D'ailleurs, les idées ne jouent jamais ce rôle. On l'a bien vu, par exemple, au XVIIIe siècle. Comme aujourd'hui, des réformistes de génie analysaient brillamment les dysfonctionnements de la société française. Voyez le nombre de livres qui paraissent actuellement sur le thème de la critique de l'État. Ils ont beaucoup de succès, même lorsque ce sont des pavés comme Notre État, de Roger Fauroux (1). Les critiques émises par les grands intellectuels suscitent un vif intérêt, mais les responsables de l'État sont incapables d'en tenir compte et d'entreprendre la moindre réforme.
P. I. -N'êtes-vous pas trop sévère ? Après tout, on ne peut pas exclure que les idées libérales aient contribué à accélérer la chute des régimes communistes européens...
J.-F. R. - C'est très difficile à évaluer, mais c'est possible. Sans doute ont-elles joué un modeste rôle dans la démoralisation du système soviétique, dont les propres dirigeants ont fini par prendre conscience qu'ils se trouvaient dans une impasse.
P. I. -Dans quelle région du monde avez-vous le sentiment que le triomphe du libéralisme est le plus net ?
J.-F. R. - Un peu partout, puisque les comportements effectifs des gouvernements, des acteurs sociaux et des entreprises vont dans le sens de l'économie libérale capitaliste et de la démocratie politique telles que Turgot et Adam Smith pour la première, Montesquieu et Locke pour la seconde, les avaient formulées. Désormais, ceux-là mêmes qui continuent à condamner le libéralisme le pratiquent néanmoins.
P. I. -Quelles réflexions les théories de Francis Fukuyama, sur la « fin de l'Histoire », et …
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