Marie Jégo - Joschka Fischer, Jacques Chirac, Gerhard Schröder et, plus récemment, Lionel Jospin ont défendu, à tour de rôle, l'idée d'une « fédération d'États nations » pour l'Europe. Pourtant, chacun semble donner à cette notion un contenu différent. Comment peut-on élaborer une Constitution européenne avec des positions aussi divergentes ?
Daniel Cohn-Bendit - S'il ne fallait prendre en compte que les divergences françaises ou franco-allemandes, le problème ne serait pas si difficile à résoudre. Mais à écouter les discours des responsables politiques allemands ou italiens, on se dit que le chemin vers une Constitution européenne est sûrement pavé de bonnes intentions mais qu'il y a encore un énorme travail à fournir pour trouver un compromis. Au moins le débat est-il lancé ! Cela prouve que la nécessité même d'une Constitution est reconnue par tous.
M. J. - L'expression « faire l'Europe sans défaire la France », utilisée par le premier ministre français dans son discours du 28 mai dernier, n'est-elle pas antinomique ?
D. C.-B. - Oui et non. Il aurait été plus judicieux, selon moi, d'appeler à « faire l'Europe en réformant la France ». Car il est évident que le jacobinisme centralisateur est un frein à l'intégration européenne. Mais je pense que nous aurons l'occasion de revenir sur ce thème au cours de cet entretien...
M. J. - Le fervent partisan de l'Union que vous êtes ne devrait-il pas se montrer plus préoccupé par le fossé qui sépare les conceptions européennes de l'Allemagne et de la France, depuis la disparition du tandem Mitterrand-Kohl ?
D. C.-B. - Je ne parlerais pas de « fossé » ; je dirais même qu'entre les propositions du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, et celles du premier ministre français, Lionel Jospin, les différences ne sont pas insurmontables. Entre un fédéralisme tempéré à l'allemande et un souverainisme édulcoré à la française, il y a sûrement moyen d'aboutir à une synthèse, au sens hégélien du terme. C'est d'ailleurs, probablement, l'une des tâches les plus difficiles qui incombent aux fédéralistes Verts que de rallier les gauches européennes à un renforcement de l'intégration.
M. J. - Quel est, à vos yeux, le bilan du sommet de Nice de ce point de vue ?
D. C.-B. - C'est un échec complet ! Mais, en même temps, il y a une cohérence qui se dégage de ce sommet. Et cette cohérence est celle d'un certain type de souverainisme que l'on peut qualifier d'anglo-espagnol. Ne nous y trompons pas : il ne s'agit pas d'un souverainisme anti-européen. La position de Blair et d'Aznar consiste à dire : « Écoutez, l'Europe institutionnelle telle qu'elle existe aujourd'hui nous suffit pour ce que nous attendons de l'Europe. Donc, renforçons ce que nous avons, garantissons ce que nous avons, pour élargir avec ce que nous avons. » Ce n'est que si l'on a d'autres objectifs en tête pour l'Europe que Nice doit être considéré comme un échec.
M. J. - Vous ne partagez donc pas l'avis de ceux qui voient en …
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