Galia Ackerman - Alexandre Alexandrovitch, une génération entière d'Occidentaux, de Français notamment, a compris le fonctionnement du système soviétique grâce à vos livres. Vous avez été le premier à décrire le phénomène de l'homo sovieticus. Lorsque vous avez décidé de revenir vous installer en Russie et de concentrer désormais vos attaques sur l'Occident, le choc fut d'autant plus rude pour vos anciens lecteurs. Comment expliquez-vous ce revirement ?
Alexandre Zinoviev - Je n'ai pas retourné ma veste. Je ne désavoue rien de ce que j'ai écrit dans mes livres antérieurs à la période gorbatchévienne. Mon analyse du système communiste demeure parfaitement pertinente. On perçoit parfois mes écrits sur la période gorbatchévienne et eltsinienne (1) comme un reniement par rapport à mes anciennes positions. C'est absolument faux. La vérité c'est que, lorsque le système communiste s'est effondré, il a perdu tout intérêt à mes yeux en tant que phénomène vivant. Ce n'est pas moi qui ai changé : c'est l'objet même de mes études scientifiques et de mon œuvre littéraire. Quant à mon retour en Russie, c'est très simple : je suis rentré parce que la vie en Occident avait cessé de m'intéresser. Et puis, je souhaitais observer de près la sortie du communisme, voir de mes propres yeux ce qui se passait, écrire sur ce sujet. C'est en quelque sorte ma contribution au destin de mon pays et de mon peuple.
G. A. - Regrettez-vous parfois d'avoir quitté l'Allemagne ?
A. Z. - Pas du tout. A Moscou, je mène une vie très intense. Je donne des conférences, je publie des articles, des livres. La formation de la Russie post-soviétique est un processus passionnant : on assiste à la naissance d'une idéologie et d'une culture nouvelles, à l'émergence d'un nouveau matériau humain. Et tout cela se déroule en ma présence, comme si j'étais dans un gigantesque laboratoire : j'aurais manqué beaucoup de choses si j'avais continué à vivre en Occident !
G. A. - En quoi consiste ce processus, plus précisément ?
A. Z. - Je commencerai par une affirmation que certains jugeront paradoxale : sous Gorbatchev et Eltsine, un coup d'État anti-communiste a eu lieu, qui n'a pas d'équivalent dans l'histoire de l'humanité.
G. A. - Un coup d'État ?
A. Z. - Peut-être serait-il plus exact de parler d'un revirement dont l'initiative venait très certainement d'en haut. Cependant, de larges couches de la population y ont pris part ou, en tout cas, sont restées passives. Elles n'ont pas essayé de défendre le système communiste. Sinon, un bouleversement de cette ampleur aurait été impossible.
G. A. - Comment expliquez-vous ce comportement ?
A. Z. - L'Occident a joué un rôle fondamental : en un demi-siècle de guerre froide, son arme la plus efficace a été la propagande libérale. Utilisée avec un brio extraordinaire, cette arme a détruit les fondements idéologiques et psychologiques de la société soviétique, de la base jusqu'au sommet. Vers la fin des années 80, l'élite dirigeante était tellement imprégnée par cette propagande qu'elle s'est laissée manipuler …
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