78 ans après sa fondation sur les décombres de l'empire ottoman, la République de Kemal Atatürk est entrée dans une spirale infernale qu'elle aura le plus grand mal à dominer. Engluée dans une faillite bancaire sans précédent (la profondeur estimée du « trou » serait comprise entre 20 et 40 milliards de dollars), confrontée à des échéances financières cruciales (une dette externe de 110 milliards de dollars), secouée, depuis décembre 2000, par une vague de mutineries dans ses prisons, la « petite Asie » traverse l'une des plus violentes tempêtes de son histoire.
La répétition accélérée des crises, au cours des derniers mois, donne le sentiment que ce pays, caractérisé par une gestion sur le fil du rasoir, est entré peu à peu dans une logique suicidaire. Quant au kémalisme, auquel la Turquie doit son statut de pays moderne - exceptionnel dans la région ! -, il apparaît désormais comme un « anachronisme » (1).
La crise économique a jeté une lumière crue sur la décrépitude du système politique. D'où la tourmente financière est-elle venue ? Du ralentissement de l'économie mondiale ? D'une usure de l'outil industriel ? De quelque catastrophe naturelle qui aurait paralysé la production ? Pas du tout ! De l'instabilité politique qui ronge un régime soumis aux caprices de ses coalitions gouvernementales ? Pas davantage. Paradoxalement, la crise a surgi au moment où la Turquie était gouvernée par une coalition parmi les plus stables que le pays ait connues. En fait, cette banqueroute, sorte de Crédit Lyonnais à la puissance 10, résulte avant tout de l'incompétence d'une classe politique irresponsable et notoirement corrompue, qui paraît plus préoccupée de se constituer une rente - pour elle-même et pour les cercles mafieux qui la sous-tendent - que de doter le pays d'un vrai projet politique. Ce sont ces cercles politico-mafieux, à l'oeuvre depuis le milieu des années 80, qui ont organisé, avec la bénédiction tacite des autres acteurs du pouvoir, « le plus grand pillage de l'histoire de la République turque » (2).
La gestion du secteur bancaire est au coeur du problème. Cédées à des proches du pouvoir, la plupart des banques privées ont, pendant des années, tiré parti de l'inflation très élevée pour spéculer sur les bons du Trésor à haut rendement. Tandis que les banques publiques, elles, servaient de pompes à finances pour les partis au pouvoir, distribuant aux « amis » des prêts à des taux défiant toute concurrence - et cela, sans contreparties. En 1994, au lendemain d'une énième crise économique, le gouvernement d'alors, dirigé par le premier ministre ultra-libéral Tansu Ciller, fraîche émoulue de la Banque mondiale, décida que tous les dépôts seraient garantis par l'Etat. Cette règle, encore valable aujourd'hui, a constitué une véritable incitation à la faillite bancaire. Mme Ciller, étoile montante de la politique turque, se révéla experte dans ce domaine ! En 1998, une commission parlementaire chargée d'enquêter sur sa fortune établit la participation du couple Ciller à des virements bancaires frauduleux. écoeuré, Sadik Avundukluoglu, le député chargé …
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