Les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone ont, bien sûr, surpris par leur ampleur et leur précision. A première vue, ils semblent s'inscrire dans la vague de radicalisme islamique qui a déferlé sur le Moyen-Orient et l'Occident depuis la révolution iranienne de 1979, bien que le détournement d'avion ait été « inventé » dans les années 70 par des Palestiniens nationalistes et laïques. La pratique des attentats aveugles contre des civils (le magasin Tati à Paris en 1986) ou des cibles militaires (les troupes américaines au Liban en 1983 et en Arabie Saoudite en 1995 et 1996), l'usage de commandos suicide (au Liban et en Israël), le recrutement parmi des jeunes d'origine arabe installés en Occident depuis longtemps (Kelkal à Lyon en 1995) : rien de tout cela, en effet, n'est nouveau. Mais là où l'action des réseaux Ben Laden marque une rupture fondamentale par rapport au radicalisme islamique antérieur, c'est qu'elle ne relève d'aucune stratégie politique. Au Liban en 1983 et 1984, il s'agissait de contraindre les troupes occidentales à quitter le pays. Les attentats qui ont frappé Paris en 1995 et 1996, quels qu'en fussent les véritables instigateurs, cherchaient à convaincre la France de ne pas se mêler des affaires algériennes. Quant aux attaques contre les troupes américaines en Arabie Saoudite, il est clair qu'elles tendaient à obtenir leur retrait.
Mais à quoi visaient les attentats du 11 septembre ? A l'anéantissement du capitalisme et de la Babylone moderne ? En réalité, les auteurs de ce massacre n'ont aucune stratégie pour la bonne raison qu'ils ne poursuivent aucun objectif réalisable. La destruction du WTC n'est que la mise en scène symbolique de l'Apocalypse. Contrairement aux attentats antérieurs, l'ombre d'aucun Etat ne se profile aujourd'hui derrière les tueurs. Les Taliban sont simplement accusés de donner refuge à Ben Laden et non d'avoir commandité les attentats. Les grands mouvements islamiques classiques (Hezbollah, Iran, Frères musulmans, FIS, ex-Refah turc) les ont d'ailleurs condamnés. Inversement, ceux qui soutiennent Ben Laden (les mouvements religieux pakistanais, le Hizb ul Tahrir basé à Londres) appartiennent à une mouvance différente de celle des partis islamistes.
Cette déconnexion entre les mouvements islamistes des années 80 et Ben Laden est fondamentale si l'on ne veut pas se tromper de cible. Le terrain d'action de Ben Laden n'est pas le Moyen-Orient : c'est la périphérie du monde musulman (de l'Afghanistan aux Philippines en passant par le Cachemire) et... l'Occident. Les révolutionnaires islamistes, au contraire, avaient adopté une logique étatique et stratégique, profondément enracinée dans l'histoire du Moyen-Orient. Leur lutte s'inscrivait dans des rapports de force et des lignes de rupture traditionnels : reformulation du nationalisme arabe sous une forme islamique avec les Frères musulmans, affirmation de la puissance régionale iranienne sous le masque de la révolution islamique, retour à une logique ottomane en réaction contre la rupture kémaliste chez le Refah turc, etc. Avec Ben Laden, on a affaire à un radicalisme «déterritorialisé» qui saute des zones tribales pachtounes aux banlieues de …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles