Thomas Hofnung - Considérez-vous que les attentats du 11 septembre 2001, à New York et à Washington, annoncent une nouvelle ère historique : celle du retour de l'incertitude ?
François Heisbourg - Ils ont marqué, de façon extraordinairement tranchée, la fin de l'après-guerre froide. Auparavant, nous décelions un nouveau style dans la politique extérieure américaine, un unilatéralisme (1) croissant au fil des ans. Nous étions entrés dans quelque chose de nouveau, mais ce processus était graduel, progressif. Tout à coup, on est face à une césure encore plus nette que celle qui a marqué la fin de la guerre froide : la nuit du 9 au 10 novembre 1989, date de la chute du mur de Berlin. On est passé de l'après-guerre froide à l'hyper-terrorisme. La nature des menaces et les règles du jeu changent, et on assiste à une reconfiguration accélérée de la carte du monde.
T. H. - Georgui Arbatov, un diplomate soviétique, avait dit aux Américains au moment de l'effondrement de l'URSS : « Nous sommes en train de vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous priver d'ennemi... » Diriez-vous que le 11 septembre consacre l'avènement d'un nouvel ennemi : l'hyper-terrorisme ?
F. H. - Ce n'est pas un ennemi au sens où l'étaient les puissances de l'Axe ou, plus tard, l'Union soviétique. C'est une nouvelle catégorie de menace, quelque chose de totalement inédit dans l'histoire de l'humanité. L'hyper-terrorisme, ce sont d'abord des mouvements messianiques dont l'ordre du jour n'est pas politique. Le groupe Ben Laden se rattache à l'islam mais, en réalité, il ressemble plutôt à un groupe comme la secte Aoum (2), au Japon. Les deux mouvements sont comparables dans la mesure où leur objectif n'est pas de ce monde. Leur ordre du jour est métaphysique et se résume à deux catégories : l'enfer et le paradis. Ce qui conduit, sur le plan du comportement, à des actions sans bornes. Dans cette logique, on rend service à chacun en précipitant le jour du Jugement dernier. Les bons vont au paradis — les descriptions du paradis d'Allah sont merveilleuses — et les mauvais vont en enfer. Le deuxième aspect de cette menace, c'est sa capacité de destruction massive. Et la nouveauté, c'est la fusion entre ces deux éléments. Bien que les attentats du 11 septembre aient été commis avec des moyens purement conventionnels, leur bilan — du moins pour ce qui concerne la destruction des deux tours du World Trade Center — est assez comparable à ce qu'aurait donné l'emploi d'une arme de destruction massive. Ce que les Japonais d'Aoum avaient tenté de faire avec des armes chimiques et biologiques, les hommes de Ben Laden l'ont réalisé avec des moyens classiques. On a vraiment basculé dans une nouvelle catégorie de menace par rapport à laquelle l'expérience antérieure, qu'il s'agisse de prévention ou de répression, ne nous aide guère, ni au plan politique, ni au plan militaire, ni au plan économique. On va devoir apprendre, au fur et à mesure, à gérer cette nouvelle …
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