Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA VOIE KOWEITIENNE

Depuis près de quatre décennies, cheikh Sabah al-Ahmed al-Jaber al-Sabah est l'un des principaux acteurs de la scène politique koweïtienne, notamment en qualité de vice-premier ministre et de ministre des Affaires étrangères. Au début de cette année, il a déclenché une crise politique majeure en remettant sa démission à l'émir. On sait peu de choses sur les tractations qui, en coulisse, se sont ensuivies, mais la plupart des observateurs ont vu dans la formation du nouveau cabinet une victoire de cheikh Sabah, qui a retrouvé ses fonctions de vice-premier ministre et de ministre des Affaires étrangères. Et les analystes considèrent volontiers ce politicien aguerri, président du Conseil supérieur du pétrole et de plusieurs autres grands organismes publics, comme le principal décideur koweïtien.

En raison de la longue maladie du premier ministre et prince héritier, cheikh Saad Abdallah al-Salim al-Sabah (1), c'est cheikh Sabah qui est, de facto, en charge de l'exécutif. Et il est évident que l'émir, cheikh Jaber al-Ahmed al-Sabah a apporté son soutien personnel au nouveau gouvernement.

« Il est clair que cheikh Sabah est désormais en charge du gouvernement, dit Walid al-Nusuf, rédacteur en chef du quotidien al-Qabas. C'est son cabinet, et ses membres sont des hommes avec lesquels il peut travailler en harmonie. »

Cheikh Sabah a, aussi, enregistré d'importants succès sur le très complexe échiquier politico-dynastique koweïtien. Plusieurs membres de la famille régnante, connus pour leurs difficiles relations avec lui, ont été exclus du gouvernement, tandis que d'autres, qui soutenaient le leadership de cheikh Sabah, ont été promus à des postes clefs.

L'espérance de vie du nouveau gouvernement est, en principe, de deux ans, c'est-à-dire jusqu'aux prochaines élections parlementaires. Cheikh Sabah a donc moins de deux années pour persuader l'émir et le pays que sa politique peut faire la différence. C'est pourquoi son cabinet s'est lancé dans une série d'initiatives de politique intérieure et étrangère qui ont attiré l'attention des observateurs. Reste à savoir si elles porteront leurs fruits.

Amir Taheri - Voilà une décennie que les forces d'occupation irakiennes ont été chassées du territoire koweïtien. Pensez-vous, avec le recul, que la guerre était inévitable en 1990 ?
Cheikh al-Sabah - Ce qui est certain, c'est que cette agression a eu lieu. Je laisse aux historiens et aux chercheurs le soin de déterminer si elle était, ou non, inévitable. Le Koweït, en tout cas, n'avait en rien attenté aux intérêts nationaux de l'Irak et cette attaque fut le résultat de la politique de terreur et d'expansionnisme régional conduite par le régime irakien. Le Koweït ne fut que la dernière victime de cette stratégie. Permettez-moi d'ajouter, au passage, que si notre agresseur a été expulsé de notre pays, rien n'indique qu'il ait définitivement renoncé à ses projets hostiles.
A. T. - On dit que le nouveau gouvernement est plus proche de vos vues et de votre tempérament que le précédent. Quelles sont ses priorités ?
C. S. - Deux priorités se dégagent, qui sont étroitement liées : la poursuite du renforcement de notre défense nationale, et la réforme de notre économie. La défense nationale doit trouver dans la modernisation de l'économie une base solide.
A. T. - Le déficit budgétaire atteint 13 % du PIB, la croissance est vacillante et la faiblesse des investissements privés persiste. N'est-ce pas là un tableau économique assez sombre ?
C. S. - Tout d'abord, la hausse des prix du pétrole a remédié au déficit budgétaire, et nous avons désormais un excédent (2). Notre produit intérieur brut a augmenté de 17 % en 2000. Notre économie n'est ni malade ni faible, et son potentiel est considérable. Quant à l'investissement privé, il a besoin de confiance. Or nous venons de traverser des années difficiles. De nombreuses sociétés koweïtiennes ont dû réparer les dommages causés par l'agression et le pillage irakiens. Bien souvent, elles finissent à peine de rembourser les prêts exceptionnels qui leur ont été consentis pour repartir de zéro. Cependant, l'espoir et la confiance sont en train de revenir. Outre une amélioration significative de l'investissement intérieur, nous constatons également un regain d'intérêt de la part des investisseurs étrangers. C'est encourageant. Ce pays dispose de quelque 10 % des réserves mondiales de pétrole, d'élites gestionnaires qualifiées, ainsi que de structures politiques et économiques saines. Il me semble donc que le Koweït n'est pas dénué d'atouts pour attirer des investissements à long terme.
A. T. - Mais, dans le même temps, le chômage a fait son apparition et certains diplômés de l'université ne parviennent pas à trouver un emploi...
C. S. - Là encore, on ne doit pas oublier les circonstances particulières dans lesquelles se trouve notre pays. Il n'a pas de problèmes de chômage structurel et fait appel à une abondante main-d'œuvre étrangère. Les diplômés que vous avez rencontrés sont des gens qui veulent occuper des postes publics, qui ne souhaitent pas travailler dans le secteur privé ou qui répugnent à exercer une activité manuelle. Mais nous ne pouvons pas continuer d'alourdir des effectifs de fonctionnaires …