Les Grands de ce monde s'expriment dans

RUSSIE-AMERIQUE : UNE NOUVELLE ALLIANCE ?

Galia Ackerman - Monsieur le Premier ministre, quelle a été votre réaction, en tant qu'homme politique de mouvance libérale mais aussi en tant que citoyen russe, face aux attentats perpétrés le 11 septembre aux États-Unis ?

Sergueï Kirienko - J'ai réagi comme la plupart des Russes. A Moscou, une foule immense s'est rassemblée devant l'ambassade des États-Unis pour manifester sa solidarité avec le peuple américain, Pourtant, ces dernières années, l'Amérique n'était pas particulièrement populaire chez nous. Mais les gens se sont sentis très concernés par cette tragédie. Peut-être parce que deux ans plus tôt, presque jour pour jour, des immeubles avaient explosé à Moscou. Je suis, moi aussi, entièrement solidaire avec le peuple américain. Je regrette toutefois, à titre personnel, le « deux poids deux mesures » pratiqué par l'opinion publique et les médias occidentaux vis-à-vis de deux tragédies somme toute similaires : les attentats commis à Moscou et à New York. Les Moscovites n'ont pas eu droit aux mêmes témoignages de sympathie que les New-Yorkais...
G. A. - Quelles seront, selon vous, les principales conséquences de ces événements ?
S. K. - Certains affirment que nous assistons au déclenchement de la Troisième Guerre mondiale. Nous sommes, certes, au début d'une guerre majeure contre le terrorisme, mais ce serait plutôt la Quatrième Guerre mondiale. Pour moi, la Troisième, c'était la guerre froide, qui opposait l'Union soviétique et l'Occident. Désormais, nous sommes dans le même camp. Par conséquent, la configuration même des relations internationales est en train de changer. La coalition antiterroriste forgée par Washington ne se limite pas aux membres de l'Otan, mais compte des dizaines de pays. Les mécanismes de prise de décision doivent donc être communs à tous ces pays.
G. A. - Quels sont les principaux risques que comporte la lutte antiterroriste ?
S. K. - Tout d'abord, il faut pouvoir prouver au monde civilisé, y compris aux pays arabes et musulmans, que l'on punit les vrais coupables de ces actes. Sinon, notre combat contre le terrorisme se transformera en guerre de religion — ce qui, naturellement, serait catastrophique. Or, les instigateurs de ces horribles crimes ont démontré des talents d'organisation exceptionnels. Ils ont, par exemple, procédé de telle façon que les télévisions américaines et les badauds ont pu filmer en direct l'attaque contre la seconde tour du World Trade Center. Ils ont certainement anticipé sur la riposte américaine et nous ont tendu un piège. Nous devons éviter que la guerre antiterroriste ne frappe des innocents. Sinon, nous risquerions de provoquer, dans le monde entier, une très forte montée de l'intégrisme dont les conséquences seraient incalculables.
G. A. - 40 % de la population musulmane de Russie sont concentrés sur le territoire de votre district fédéral. Y observe-t-on une montée du fondamentalisme islamique, notamment dans sa variante wahhabite ?
S. K. - Ce territoire représente un exemple unique de coexistence pacifique entre la Chrétienté et l'Islam. Ce qui mérite, me semble-t-il, une étude en profondeur. Depuis trois cents ans, il n'y a eu aucun conflit d'origine religieuse. …