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WASHINGTON-PEKIN: L'EQUATION STRATEGIQUE

Jacqueline Albert Simon - Professeur Terrill, vous avez écrit récemment que « l'atmosphère des relations sino-américaines doit changer » (1). Que voulez-vous dire ?
Ross Terrill - Il faut remonter un peu en arrière. Le rapprochement américano-chinois, dans les années 70, était étroitement lié aux évolutions survenues dans le monde communiste et à la rupture sino-soviétique. Si Nixon a établi des relations avec la Chine populaire, ce n'était pas pour favoriser la diffusion de la culture, ou même celle des investissements américains, mais pour faire contrepoids à l'Union soviétique. Dès l'été 1991, lorsque l'URSS s'est effondrée, il était clair que les relations américano-chinoises ne pourraient demeurer inchangées. La grande question devint alors : sur quoi fonder notre politique chinoise après la disparition de l'hostilité ou, du moins, de la distance sino-soviétique ? Les années 90 furent une période bizarre durant laquelle la Chine joua, très habilement, ses quelques cartes tandis que les États-Unis éprouvaient des difficultés à redéfinir leur politique chinoise. Fallait-il considérer la Chine comme un partenaire comparable à l'Inde et au Japon ? Comme le futur prochain rival de l'Amérique ? Ou comme un « partenaire stratégique », pour reprendre la terminologie de Clinton ? Certains, aux États-Unis, insistaient pour que l'on mette l'accent sur le Tibet, d'autres sur l'avortement, sur les droits de l'homme, etc. Or, aussi importantes soient-elles, toutes ces questions ne peuvent remplacer une stratégie globale. Dans le même temps, Pékin nous faisait régulièrement la leçon, comme si nous étions une province reculée de l'Empire. Les autorités chinoises demandèrent, par exemple, à Clinton de leur présenter ses excuses lorsque le président taiwanais se rendit à l'université Cornell (2). Ce que Clinton — et c'est heureux — n'a pas fait. Les menaces de Pékin au sujet de Taiwan ajoutaient encore à la confusion ambiante. Bref, la Chine boxait au-dessus de sa catégorie, comme on dit, et les États-Unis ne savaient pas quelles priorités adopter.
J. A. S. - La guerre du Kosovo, au printemps 1999, a débouché sur un regain de tension sino-américaine...
R. T. - La fin de la décennie a été marquée, en effet, par deux incidents : le bombardement de l'ambassade chinoise à Belgrade, et l'affaire de l'avion espion à Hainan (3). Dans les deux cas, la Chine a dramatisé la situation et nous a diabolisés, y compris dans les médias, alors même que notre pays absorbe 30 % des exportations chinoises. Après quelques jours de flottement, le président Bush a réagi avec fermeté dans cette seconde affaire, et je l'ai soutenu. L'atmosphère a changé parce que Bush a tenu bon. Les Chinois ont renoncé à leur rhétorique sur la menace américaine, il y a eu des rencontres, et le climat s'est apaisé. Que cela plaise à Pékin ou pas, nous vivons dans un monde unipolaire, dont le leader est l'Amérique. George W. Bush l'a rappelé, avec aplomb, aux Chinois.
J. A. S. - Les Chinois aiment à citer ce proverbe : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même : tu remporteras cent …