Pour Siméon II de Bulgarie, le compte à rebours a commencé. Sorti vainqueur des élections législatives du 17 juin 2001, il avait pris l'engagement durant sa campagne de redresser la situation du pays en 800 jours. Dans son bureau, une horloge - un cadeau de l'un de ses concitoyens - égrène les jours qui lui restent pour gagner son pari. Manifestement, il sait que le temps joue désormais contre lui. Ce qu'une élection a fait, une autre peut en effet le défaire. Son prédécesseur libéral, Ivan Kostov en a fait l'amère expérience.
L'élection au poste de président de la République, les 11 et 18 novembre 2001, de Guéorgui Parvanov, le jeune dirigeant du parti socialiste (ex-communiste), contre le président sortant soutenu par Siméon II, révèle la lassitude d'une opinion publique soumise à dix ans de privations. Quitte à paraître incohérente aux yeux des analystes, elle est prête à tous les revirements.
Jusqu'à présent, les observateurs étrangers s'accordent à considérer que le nouveau premier ministre a effectué un parcours « sans faute ». Fin tacticien, rassembleur, parlant « positif » comme il le dit lui-même, Siméon II dispose de quelques atouts. Reste à savoir s'ils seront suffisants pour sortir rapidement de la situation économique et sociale difficile dont il vient d'hériter. Surtout, une majorité de Bulgares continuera-t-elle à le soutenir si ses promesses de « mieux vivre » tardent à se concrétiser ?
Déjà, plusieurs sondages indiquent un fléchissement de sa cote de popularité, qui se maintient néanmoins à un niveau très élevé (66 % en octobre 2001). Selon les spécialistes, cette tendance devrait s'accentuer dans les mois qui viennent tant, en Bulgarie, la courbe des sondages a toujours suivi les variations climatiques. L'hiver, comme les précédents, sera rude pour l'immense majorité de la population et ce n'est donc qu'au printemps que l'on pourra esquisser un premier bilan de ce dirigeant européen atypique : premier ministre en 2001 d'un pays dont il fut « l'enfant roi » entre 1943 et 1946.
Les négociations entamées au lendemain des élections ont abouti à la constitution d'un gouvernement de coalition comprenant deux ministres issus du parti représentant au Parlement les minorités turque et musulmane du pays ainsi que deux représentants (à titre individuel, il est vrai) du parti socialiste (ex-communiste). Ce « tour de force politique », qui marque la volonté de consensus du premier ministre, lui assure une majorité absolue d'au moins 141 sièges sur 240. Il peut également compter sur l'attitude bienveillante du groupe PS fort de ses 48 députés. A priori, Siméon II s'est donc donné les moyens parlementaires de sa politique de réforme.
Quant à l'installation de sa jeune équipe d'économistes et de juristes aux commandes de l'Etat, elle s'est apparemment déroulée sans heurts, même si la presse bulgare s'est empressée de souligner les lenteurs de la mise en route. Le reproche paraît excessif : le nouveau gouvernement a pris, en effet, dès le mois d'octobre, des mesures importantes en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption. Avant de lancer un programme économique crédible aux yeux des institutions financières internationales, il a pris soin de procéder à un audit approfondi des finances publiques. Selon les premières constatations, la précédente majorité aurait laissé un déficit caché de 640 millions de léva. Cet héritage inattendu risque de compliquer singulièrement la tâche du nouveau pouvoir.
La bonne nouvelle est venue du FMI qui, à l'issue de longues négociations, a fini par octroyer à Sofia, fin décembre 2001, un crédit relais de 300 millions de dollars sur deux ans. Cette mesure de soutien devrait permettre au gouvernement de Siméon II de rassurer les investisseurs étrangers sur la crédibilité de la future politique économique bulgare.
Pour la quatrième année consécutive, le rapport de l'Union européenne réserve à la Bulgarie des commentaires particulièrement élogieux. Non seulement elle satisfait aux critères définis lors du Conseil européen de Copenhague en 1993, mais elle « est proche d'une économie de marché viable ». Certes, une condition est rappelée avec insistance : la Bulgarie « devrait être en mesure de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union à moyen terme, pour autant qu'elle continue à mettre en oeuvre la réforme de son économie et qu'elle poursuive ses efforts en vue de surmonter certaines difficultés persistantes. L'aide de l'UE devrait y contribuer. Mais, contrairement aux dix pays candidats, aucune date d'adhésion n'a, pour le moment, été fixée. Ce « supplice technocratique » pourrait avoir, comme l'a indiqué Hubert Védrine lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères du 19 novembre, des «effets déstabilisateurs», nuisibles à l'idée même d'une Europe unie.
Les appréciations positives de l'UE - nul ne le conteste - représentent l'aboutissement des efforts entrepris par le gouvernement Kostov. Après quatre ans de stabilité macro-économique, la croissance s'est accélérée et a progressé au rythme de 5,8 % en 2000 - chiffre le plus élevé depuis la crise politique et économique des années 1996-1997. Le chômage a même globalement baissé ces dernières années pour avoisiner aujourd'hui les 17 %.
Mais la population bulgare n'a pas la même perception des choses. Désorientée au plan politique et socialement frustrée, elle n'a pas manqué de faire payer son désenchantement aux gouvernants précédents. L'avertissement vaut certainement pour l'équipe dirigeante actuelle.
Siméon II devra encore tabler sur la patience de l'opinion publique. Jusqu'où pourra-t-il aller ? Dans ce domaine, sa marge de manoeuvre est extrêmement étroite. Les récentes et diverses hausses des prix et des charges subies par les ménages bulgares ont été un nouveau choc, et il est clair que la réussite ou l'échec du gouvernement se jouera sur sa politique sociale. Les déclarations de la représentante permanente du FMI à Sofia selon laquelle « les Bulgares doivent s'attendre à des réformes structurelles dont le coût social sera très élevé » ne sont pas faites, hélas, pour rassurer la population.
La principale faiblesse de Siméon II réside probablement dans la fragilité de son implantation populaire. L'élection présidentielle a montré que la base électorale de son mouvement, le MNS-II, reste fragile, voire versatile. Le premier ministre est doté d'un indéniable charisme. Mais cela n'est sans doute pas suffisant pour garantir sa pérennité politique en cas de tempête sociale.
Durant son exil à Madrid, Siméon II a vécu la transition espagnole. Pour demeurer une alternative crédible et refermer en douceur la « parenthèse » communiste, il doit jouer, comme en Espagne, la carte du consensus politique et social. S'il y parvient, il aura, dès lors, de bonnes chances de relever avec succès le défi qu'il s'est lancé, à 64 ans, et réussir là où ses prédécesseurs ont échoué : mettre en oeuvre les réformes promises sans décevoir ceux qui l'ont porté au pouvoir.
François Frison-Roche - Monsieur le Premier ministre, dans les années 70-80, du temps où vous viviez à Madrid, vous avez été témoin de la transition démocratique espagnole. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience pour un pays comme la Bulgarie ?
Siméon de Saxe-Cobourg - Ce qui m'a le plus frappé c'est le consensus qui, au-delà des divergences d'opinion ou de credo politique, a réussi à se dégager sur les grandes questions liées à l'avenir de l'État. Entre les « franquistes » et la « gauche », qui n'était pas encore arrivée au pouvoir mais qui n'était pas subversive, l'ambiance était un peu crispée. Malgré cela, il y a eu consensus, grâce notamment au rôle modérateur qu'a su jouer la monarchie. Au fond, la transition espagnole montre l'importance du dialogue. S'agissant de la Bulgarie, le fait qu'il y ait plusieurs partis politiques et que tous les acteurs aient assimilé les règles du jeu démocratique, sans chercher à bâtir une pseudo-démocratie pour rendre la transition plus facile, a certainement été un facteur positif.
F. F.-R. - Quels sont les principaux atouts et les principales contraintes de la transition en Bulgarie ?
S. S.-C. - L'atout, c'est la volonté, partagée par tous les Bulgares, de rejoindre l'Union européenne et, pour ainsi dire, d'être « atteints » par Bruxelles. Il y a là un souhait commun qui s'exprime de diverses manières, certes, mais qui existe. La difficulté, c'est que, jusqu'à présent, nous avons vécu dans un cadre bipolaire : ou bien on était « rouge » ou bien on était « bleu » (10), sans s'embarrasser de nuances. Dans une démocratie aussi frêle que la nôtre, une telle fracture entre la gauche et la droite n'est pas une bonne chose. Des démocraties établies et solides comme la Grande-Bretagne ou les États-Unis peuvent s'en accommoder. La Bulgarie, elle, a besoin d'une plus grande souplesse politique. D'une certaine manière, notre mouvement a répondu à ce besoin.
F. F.-R. - Pensez-vous que la Bulgarie soit prête à surmonter la confrontation entre « ex-communistes » et « anti-communistes » qui, depuis dix ans, structure la vie politique ?
S. S.-C. - Peu à peu, tout le monde se rend compte que ce clivage est dépassé, à commencer par le peuple bulgare qui en a « ras-le-bol » de ce genre d'attitude. Les gens veulent que les choses aillent mieux. Surtout les jeunes de la « génération Internet ». Pour eux, le régime Jivkov (11) c'est de la préhistoire !
F. F.-R. - Comment expliquez-vous votre victoire aux élections législatives ?
S. S.-C. - Si j'ai réussi à gagner la confiance des Bulgares, c'est probablement à la modération de mon ton que je le dois. Pendant la campagne, j'ai soigneusement évité tout discours populiste, toute précipitation, et je me suis bien gardé d'entrer dans le jeu des partis. Il est clair que la mauvaise gestion des gouvernements précédents, dans certains secteurs, a également pesé. Les électeurs souhaitaient un changement. Et puis, je tenais un langage « positif », je …
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