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AFGHANISTAN : L'UNITÉ RETROUVÉE ?

Sous le règne de Zaher Shah, de 1933 à 1973, l'Afghanistan connaît quatre décennies de stabilité. Monarque réformiste, le roi entreprend de moderniser son pays, progressivement mais méthodiquement. Il instaure l'élection du premier Parlement afghan et garantit la séparation des pouvoirs, incite les enfants de l'élite à se former à l'étranger et favorise l'émancipation des femmes, dont certaines deviennent ministres. Ménageant aussi bien les intérêts occidentaux que les appétits soviétiques, il s'efforce, pendant la Seconde Guerre mondiale, de maintenir une politique de neutralité. En 1955, il décide d'envoyer ses officiers faire leurs classes en Union soviétique (1), décision qui, selon certains, est à l'origine de sa chute. En 1973, en effet, profitant d'une cure du roi en Italie, le prince Daoud, cousin du souverain et premier ministre, fomente une révolution de palais avec le parti communiste. Les officiers se joignent à eux pour renverser la monarchie et proclamer la république. Soucieux d'éviter un bain de sang, le dernier monarque pachtoune abdique un mois plus tard et s'exile à Rome. Il assiste ensuite, impuissant, à la descente aux enfers de son pays. Le président Daoud est lui-même renversé et assassiné lors d'un coup d'État marxiste, le 30 avril 1978. Le peuple afghan se révolte contre les réformes engagées par le nouveau régime, ce qui précipite l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS, en décembre 1979. Après dix ans de guerre et d'enlisement, les troupes soviétiques se retirent en 1989. Mais leur départ est suivi par une guerre civile qui ne s'achève qu'avec la prise de Kaboul par les Talibans, en 1996. Année après année, Mohammed Zaher Shah n'a cessé de recevoir, dans sa villa des environs de Rome, des délégations représentant toutes les ethnies afghanes. Tadjiks, Hazaras chiites, Turkmènes, Kirghizes ou Kazakhs : tous lui témoignent, depuis 28 ans, leur respect et leur attachement. Dans un pays où les Pachtounes représentent 45 % de la population, on aurait pu croire que l'ancien souverain pachtoune de la tribu des Durranis, qui détient le pouvoir depuis le XVIIIe siècle, trouverait ses supporters dans le Sud de l'Afghanistan et à Kaboul. Or Mohammed Zaher Shah est également très populaire chez les Tadjiks, les Hazaras et dans les autres communautés. Ce qui lui a permis d'engranger quelques succès politiques dès octobre 2000, lorsque le Congrès des États-Unis a voté une résolution appuyant sa démarche de réconciliation nationale (plan de Rome). Mais il faut attendre les terribles attentats du 11 septembre 2001 pour que les gouvernements et l'opinion internationale se tournent vers celui qui incarne l'âge d'or de l'Afghanistan et l'unité afghane. La conférence de Bonn qui, au début de décembre 2001, se tient sous les auspices de l'ONU, s'inspire du plan de Rome et débouche sur un accord inter-afghan. Ce dernier prévoit la formation d'un gouvernement intérimaire de six mois, dirigé par un fidèle du roi, Hamid Karzaï, puis la convocation d'un Conseil des Anciens (Loya Jirga) qui sera présidé, au printemps 2002, par le monarque. C'est seulement après deux ans qu'une seconde Loya Jirga déterminera la forme définitive des institutions afghanes. Si l'on ignore encore de quelle manière Zaher Shah sera appelé à servir son pays (monarque constitutionnel, président, simple citoyen), il apparaît d'ores et déjà comme le symbole de l'unité afghane retrouvée. En dépit de ses 87 ans, le roi n'a rien perdu de sa vivacité d'esprit et de sa hauteur de vue. C'est dans un français remarquable qu'il confie aux lecteurs de Politique Internationale sa vision de l'avenir.

Brigitte Adès - Majesté, l'Afghanistan se trouve, à l'issue de cinq années de pouvoir taliban, à la croisée des chemins. Les accords de Bonn (2), qui posent les bases d'un nouveau régime, vous paraissent-ils satisfaisants et sont-ils applicables dans leur intégralité ?

Mohammed Zaher Shah - Les accords de Bonn sont positifs et il faut maintenant s'efforcer de les appliquer sur le terrain. L'important pour l'Afghanistan, c'est que le gouvernement provisoire définisse bien les priorités : stabilité politique, sécurité, reprise économique et retour des réfugiés. Ils constituent un préalable indispensable puisqu'ils ont porté au pouvoir des Afghans responsables, chargés de reprendre en main, pendant six mois, les affaires du pays après la chute du régime taliban.
B. A. - Quel est le calendrier de la transition politique ?
M. Z. S. - L'administration intérimaire réglera les problèmes économiques, sociaux et administratifs les plus urgents. Puis nous réunirons, dans quelques mois, une assemblée traditionnelle représentative de toute la nation afghane : la Loya Jirga. Habituellement, celle-ci rassemble les membres du Parlement afghan et ceux des Parlements provinciaux, les représentants des principales nationalités (3) et le clergé. Nous allons donc tenir une première Loya Jirga d'urgence, chargée d'élire le chef du gouvernement provisoire. Durant la période de transition, qui durera de dix-huit mois à deux ans, une nouvelle Constitution sera rédigée. Le texte en sera ensuite présenté à une nouvelle Loya Jirga qui, elle, déterminera si le chef de l'État sera un monarque ou un président de la République. Peu importe, d'ailleurs. Le chef de l'État choisira alors une personnalité pour former le cabinet. Celui-ci devra obtenir un vote de confiance au Parlement, ce qui lui conférera la légitimité nécessaire pour gouverner. J'ai toujours défendu ce principe.
B. A. - Justement, comment peut-on s'assurer que les responsables de l'administration intérimaire accepteront d'abandonner le pouvoir au bout de six mois si la première Loya Jirga ne les confirme pas dans leurs fonctions ? Peut-on leur faire confiance ?
M. Z. S. - Oui, sans aucun doute. Hamid Karzaï (4) est un homme pondéré, intelligent, plein d'énergie et courageux. Avant d'être nommé à la tête de l'exécutif provisoire, il se battait les armes à la main. Ce garçon, dont le père est un ami personnel, mérite la confiance. Je ne vois en lui que des qualités.
B. A. - Le général ouzbek Dostom (5), qui contrôle une partie du nord de l'Afghanistan et qui a été nommé vice-ministre de la Défense en décembre, n'a pas bonne presse en Occident. Ses ambitions politiques vous inquiètent-elles ?
M. Z. S. - Pas le moins du monde. Nous sommes en contact avec lui depuis longtemps. Il jouera son rôle, comme toutes les personnes qui ont une influence dans le pays.
B. A. - Que pensez-vous du général Fahim (6), nouveau ministre de la Défense, et ancien responsable de la sécurité sous le régime communiste de Najibullah ?
M. Z. S. - Je ne le connais pas personnellement, mais je sais que c'est un homme énergique sur qui …