Françoise Pons - Monsieur le Premier Ministre, votre pays a su trouver sa place dans une Europe en constant élargissement. Comment définiriez-vous l'identité du Luxembourg ?
Jean-Claude Juncker - Lors de nos échanges de vues, j'ai constaté que mes collègues d'Europe centrale et orientale ne se posaient pas de questions anxieuses sur l'identité luxembourgeoise car ils la conçoivent un peu à notre manière. Ils considèrent que ce petit pays blotti entre deux grandes républiques, qui essaie de sauver la mise en s'autoproclamant Grand-Duché — ce qui fait de la Grande-Bretagne et du Grand-Duché les deux seuls « grands » de l'Union européenne ! —, est une espèce d'intersection des influences allemande et française. A cette intersection, constituée des parties les plus nobles de ces deux cultures, nous ajoutons les éléments qui nous sont propres. Et je laisse à la faculté descriptive de chacun le soin de découvrir ce qui, dans ce magma « intersectionnel », appartient au Luxembourg !
F. P. - Comment définissez-vous votre rôle en Europe et comment percevez-vous votre influence ?
J.-C. J. - Nous n'avons jamais fait l'erreur de nous ériger en porte-parole systématique des petits pays. Nous sommes, comme je le disais, blottis entre deux grandes nations et un troisième voisin qui est le petit royaume de Belgique. Par la force des choses — ayant eu plus que d'autres à souffrir de leur mésentente —, nous sommes devenus les spécialistes de l'entente franco-allemande. Aujourd'hui comme hier, nous savons de l'Allemagne des choses que la France — pays pourtant doté d'une imagination débordante — ne parviendra jamais à apprendre et nous avons une connaissance des Allemands dont les Français sont strictement incapables. Nous avons, sur l'amitié franco-allemande, qui fut et qui restera l'un des principaux moteurs de la construction européenne, des informations à donner et des impressions à faire partager. Les Français et les Allemands sont les premiers à faire appel à nous quand ils ont du mal à se comprendre. Et s'ils veulent en savoir plus sur cette amitié qui a contribué à façonner l'Europe, les Danois, les Suédois, les Finlandais, les Grecs ou les Espagnols, voire les pays candidats, s'adressent aussi tout naturellement aux Luxembourgeois.
F. P. - L'entente franco-allemande restera-t-elle le moteur d'une Europe à 25 ou 30 membres ?
J.-C. J. - Les Français et les Allemands doivent savoir que, dans l'Europe telle qu'elle est en train de se transformer, leur entente sera toujours indispensable mais qu'elle ne sera jamais plus suffisante. D'autres acteurs doivent relayer les initiatives franco-allemandes. Et inversement, d'autres initiatives, non franco-allemandes, doivent être relayées par ces deux pays. Une voiture n'est pas composée de son seul moteur. Quand elle s'agrandit, le moteur doit devenir plus puissant. Si Français et Allemands veulent conserver l'influence qui fut la leur, ils doivent recharger leur batterie tous les jours.
F. P. - En ce moment, ce n'est pas l'amour fou...
J.-C. J. - Personnellement, je n'ai jamais entretenu cette image idyllique de l'amitié franco-allemande. Pour nous Luxembourgeois, les couacs qui peuvent survenir …
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