Thomas Hofnung et Jean-Christophe Thiabaud - La revue américaine Policy Review évoquait, il y a deux ans, une doctrine diplomatique qui porterait votre nom, le « védrinisme ». Comment, si elle existe, définiriez-vous cette doctrine ? Autrement dit : de quelle manière, en tant que chef de la diplomatie française pendant cinq ans, avez-vous pu imprimer votre marque ?
Hubert Védrine - Je n'ai jamais prétendu élaborer une doctrine et ce n'est évidemment pas moi qui ai inventé le terme de « védrinisme ». Il a été créé par un expert américain après que j'ai parlé d'hyper-puissance, ce qui a piqué sa curiosité. Disons que j'avais développé, avant même d'être ministre, une analyse de l'état du monde après la guerre froide, des rapports de force et de ce que la France peut y faire, par elle-même ou via l'Europe. Après être devenu ministre, j'ai tout naturellement continué à réfléchir à ce que je faisais et à évaluer les résultats de notre action. Parallèlement, je l'ai beaucoup expliqué car la demande est très forte.
T. H. et J.-C. T. - Cet effort d'explication n'aboutit-il pas à la formulation d'une doctrine ?
H. V. - C'est un terme trop rigide. Ce qui est certain, c'est que j'ai constamment cherché à opérer la synthèse entre le très riche héritage historique de la diplomatie française, qu'il faut faire vivre, et l'adaptation à un contexte devenu totalement différent depuis dix ans. Le passage du monde bipolaire au monde global nous oblige à une reconstruction conceptuelle et pratique qui n'est pas achevée. Outre la fin du monde bipolaire, il faut insister sur un phénomène concomitant : le développement considérable de tous les acteurs non étatiques dans les relations internationales. Non pas que les États perdent leur rôle et leur légitimité propre, mais ils perdent leur monopole sur la scène internationale. Il est nécessaire de conduire cette double adaptation. C'est ce que je me suis efforcé de faire depuis cinq ans tout en traversant et en traitant des événements majeurs, de la guerre du Kosovo à l'Afghanistan. Et cela, dans un contexte de cohabitation.
T. H. et J.-C. T. - Ce contexte particulier n'a-t-il pas rendu votre tâche plus ardue ?
H. V. - Choisi par Lionel Jospin, j'ai agi sous son autorité et j'ai travaillé très correctement avec le Président de la République, dans le respect de ses prérogatives constitutionnelles. Parce qu'ils avaient décidé tous les deux que dans cette situation la France devait s'exprimer de façon cohérente à l'extérieur — le fameux « d'une seule voix », même si c'était à travers plusieurs bouches — et que j'en étais convaincu, nous avions mis en place un processus d'élaboration des positions de notre pays. Ce processus, contraignant mais efficace, commençait par des réunions qui se déroulaient ici, au Quai d'Orsay avec des représentants de l'Élysée et de Matignon. Lesdites réunions se prolongeaient par la tenue de comités restreints, sous la direction du premier ministre, et s'achevaient, sous la présidence du chef de l'État, par des conseils …
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