LES DROITS DE L'HOMME SELON V.POUTINE

n° 95 - Printemps 2002

Marie Jégo - Par certains aspects, la situation en Russie semble se stabiliser : l'économie progresse, un consensus politique se fait jour. Mais la tentation totalitaire est loin d'avoir disparu, notamment à l'égard des médias (1), et le poids du FSB (l'ex-KGB) tend à se renforcer. Dix ans après sa sortie de l'URSS, où en est aujourd'hui la Russie ?
Sergueï Kovalev - C'est vrai, on observe une stabilisation. Mais ce genre d'évolution n'est pas forcément positif. A l'époque de Hitler ou de Staline, la situation politique n'était-elle pas stable ? Depuis quelque temps, l'équipe en place au Kremlin s'est efforcée de restaurer la « verticale du pouvoir » (2). Dans leur naïveté, les Occidentaux croient qu'il s'agit de la prééminence des lois fédérales sur le reste. Ils se trompent. En réalité, cette « verticale du pouvoir » — une notion héritée de l'époque soviétique — suppose une direction centralisée ainsi qu'une entière soumission au système. Les nouveaux scénarios élaborés par les technocrates du Kremlin puisent leurs racines dans le passé. Et, dans la plupart des cas, le résultat obtenu est à l'inverse du but affiché.
M. J. - Les acquis des dix dernières années — la liberté d'expression, l'ébauche de pluralisme politique — sont-ils menacés ?

S. K. - Prenons la loi sur les partis politiques, adoptée il y a peu. A première vue, le texte ne comporte rien de terrible. Ceux qui ignorent tout du système soviétique n'y trouveront rien à redire. L'intention déclarée des auteurs de cette loi semblait louable : il s'agissait de mettre un frein à la prolifération des formations politiques en encourageant la constitution de partis moins nombreux mais plus forts et plus indépendants. Mais, dans les faits, cette loi est un instrument de contrôle des partis. Pour être officiellement enregistrés, ceux-ci doivent, en effet, apporter la preuve qu'ils possèdent un certain nombre d'adhérents (3). Ils doivent donc fournir à l'administration la liste précise de leurs membres, aussi bien au niveau fédéral que régional (4). Dans quelle mesure un citoyen désireux d'adhérer à un parti d'opposition dans une province comme Oulianovsk, dirigée par le général Chamanov (5), pourra-t-il le faire ? Les listes se trouvant entre les mains de l'administration régionale — chargée de les vérifier —, on peut raisonnablement penser que le postulant y regardera à deux fois avant de s'engager. Dans le cas où un parti d'opposition serait bien placé pour remporter une élection, il suffira aux instances chargées du contrôle d'émettre quelques doutes sur la véracité des listes pour l'écarter du processus électoral. Ces procédés rappellent étrangement ce qui s'est passé avant l'installation du pouvoir soviétique, notamment lorsque les Bolcheviks ont fait leur apparition au Congrès des sociaux-démocrates. Devinez sur quoi portaient les discussions à cette époque ? Sur le nombre déclaré des adhérents !
M. J. - Comment analysez-vous la situation des médias russes à l'heure actuelle ?

S. K. - Elle se passe de commentaires. Notre président a entrepris de bâtir une « démocratie dirigée ». Pour la mettre …