Jean-Pierre Robin - Pendant onze ans, l'Argentine a conduit une expérience de stabilité monétaire qui, de 1991 à 1995, a été un grand succès. Pourquoi la situation a-t-elle déraillé, débouchant sur l'une des crises économiques et monétaires les plus violentes que le pays ait connues depuis un siècle ?
Steve Hanke - Il est totalement inexact de parler de crise monétaire. La dévaluation qui a été décidée le 6 janvier 2002 est quelque chose d'unique, qui n'a rien à voir avec, par exemple, la dévaluation du real brésilien d'il y a trois ans. Il faut rappeler que, en 1991, le gouvernement du président Carlos Menem a mis en place ce qu'on a appelé la loi de convertibilité : on garantissait à tout détenteur d'un peso argentin la possibilité de le changer contre un dollar. Cette promesse de rachat était crédible parce que la Banque centrale d'Argentine détenait en réserve des dollars à hauteur de 100 % du montant de pesos qu'elle avait émis. En abandonnant au début de cette année l'obligation de convertibilité, le gouvernement a enfreint la règle qu'il s'était lui-même imposée et organisé la spoliation de millions d'Argentins. Le droit de propriété a été littéralement bafoué et c'est pour cette raison que la crise a pris de telles proportions. Les capitaux qui ont été ainsi confisqués en janvier 2002 représentaient 17,8 milliards de dollars. Il n'y a donc pas eu de crise monétaire au sens où on l'entend habituellement lorsqu'une banque centrale perd ses réserves et que la monnaie s'effondre.
J.-P. R. - Mais le gouvernement pouvait-il agir autrement ? N'était-il pas confronté à une fuite massive des capitaux ?
S. H. - C'est exact, et c'est pourquoi il faut bien comprendre les raisons pour lesquelles on en est arrivé là. Quand Carlos Menem a été élu à la présidence en 1989, il a voulu moderniser et libéraliser le pays en s'inspirant du modèle chilien. Il s'est alors heurté au problème de l'hyperinflation qui, au cours des deux décennies précédentes, n'était jamais retombée en deçà de 100 % par an. Pour y remédier, il a décidé d'adopter un système de convertibilité de la monnaie tel que le pays en avait déjà connu dans son histoire à deux reprises.
J.-P. R. - Quand exactement ?
S. H. - Avant la Première Guerre mondiale puis à nouveau dans les années 20, avant la Grande dépression qui a conduit à la disparition du système pour des motifs politiques. En tout cas, le dispositif de convertibilité mis en place à partir de 1991 a permis de stabiliser la situation et de provoquer un choc de confiance absolument considérable. Simultanément, a été lancé un programme de privatisations d'une ampleur sans précédent et dont les résultats ont été spectaculaires : en cinq ans, de 1990 à 1994, le PIB par habitant a augmenté de 78,2 % en termes réels. Toutefois, c'est à tort que l'on a parlé de « currency board » au sujet de l'Argentine. La principale caractéristique d'un tel dispositif est, en …
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