Les Grands de ce monde s'expriment dans

SERBIE: L'APRES MILOSEVIC

Olivier Guez - Le procès de Slobodan Milosevic s'est ouvert à La Haye le 12 février dernier. Marque-t-il la fin du cauchemar du peuple serbe ?
Zoran Djindjic - Les nations démocratiques peuvent sans doute le voir sous cet angle. Pour les Serbes, en revanche, cette question a été résolue le 5 octobre 2000, lorsque Slobodan Milosevic a été renversé à l'issue des élections. Son arrestation puis son extradition vers La Haye, au Tribunal pénal international (TPI), n'ont été que des questions techniques. Selon moi, il n'y avait pas là de véritable enjeu politique. Depuis la révolution du 5 octobre, Milosevic appartenait à l'Histoire. La question de la mémoire est évidemment très importante ; mais seules les nations stables, qui n'ont pas à se préoccuper au jour le jour de leurs besoins matériels les plus élémentaires, peuvent se payer le luxe d'analyser leur passé. Actuellement, les Serbes n'ont pas la tête à ça. Dans un contexte économique difficile, leur priorité, c'est de survivre. Les États en transition comme la Yougoslavie se soucient avant tout de l'avenir et n'ont pas assez d'énergie pour se pencher sur un passé toujours douloureux. Ce n'est pas par mauvaise volonté, croyez-moi. Lorsque vous devez vous débattre avec le paiement de vos factures d'électricité ou de chauffage et le règlement de la scolarité de vos enfants, vous n'avez ni la patience ni la force d'entreprendre un travail de mémoire ! De ce point de vue, ce procès vient à la fois trop tôt et trop tard pour servir de catharsis aux Serbes.
O. G. - Auriez-vous préféré l'organiser à Belgrade ?

Z. D. - C'était effectivement mon idée de départ. Mais après quelques mois, j'ai pris conscience du fait que ce n'était ni possible ni réaliste. Nous n'avions pas les moyens nécessaires pour traiter sérieusement et dans les meilleures conditions le cas Milosevic. S'il n'était pas difficile de l'arrêter et de le mettre en prison, il est vite apparu qu'il était impossible de comprendre et d'établir véritablement nos responsabilités dans les drames qu'a connus l'ex-Yougoslavie au cours de la dernière décennie. Slobodan Milosevic était le symbole des faiblesses de notre société. A l'époque, la nation serbe n'était pas capable de se protéger, de résister aux manipulations de Milosevic et de son entourage, car ces individus ont abusé des mythologies nationales pour faire passer leur discours et leur politique. D'emblée, les intellectuels ont été incapables de résister. Puisque le monde universitaire et l'Église appuyaient Milosevic, comment la grande majorité des citoyens n'aurait-elle pas suivi ? Vous connaissez la suite. Dans des sociétés fortes, on ne détruit pas la vie de millions de gens de cette façon ! Cet état de faiblesse de notre société a perduré de 1988 à 1996, jusqu'aux grandes manifestations contre la fraude électorale qui marqua les élections locales de 1996-97. Ce fut un tournant. Des centaines de milliers de personnes sont alors descendues dans la rue. D'une certaine façon, on assistait là au début de la fin du cauchemar. La population a commencé …