Politique Internationale - Comment décririez-vous le monde arabe aujourd'hui ? En 1995, vous affirmiez dans un long article : « Pas un seul régime démocratique, pas un seul État de droit dans l'ensemble du monde arabe. Cette situation scandaleuse exaspère l'opinion publique. Sept ans plus tard, referiez-vous le même constat ?
Hicham Ben Abdallah el Alaoui - Sans doute, car l'absolutisme est toujours là. Les régimes autoritaires aussi, qui continuent à gouverner en fonction de critères qui ne sont pas ceux de la citoyenneté. Les dirigeants des pays arabes dépensent des sommes folles pour créer des États modernes avec leurs armées, leurs institutions, leurs bureaucraties. Mais les relations dominantes s'établissent toujours sur une base familiale, tribale et ethnique. A une différence près : la notion de justice traditionnelle a quasiment disparu. Nous ne sommes donc ni dans le passé, ni dans le présent qu'on aurait voulu.
P. I. - Pourquoi cet échec de la démocratisation ?
H. A. - Le fait que ce problème soit commun à toute la région peut inciter à penser que « c'est culturel . Mais il faut faire attention : tous les pays n'en sont pas au même stade. Le clivage ne passe pas non plus entre République et monarchie, certaines monarchies étant beaucoup plus avancées. En définitive, il s'agit moins d'un problème culturel que d'un problème de culture politique. Pour des raisons historiques et économiques, les forces démocratiques sont faibles dans le monde arabe. En l'absence de développement - droit à l'éducation, à la santé, à un logement -, la lutte pour la survie quotidienne l'emporte sur tout. Comment penser à un avenir quand on ne dispose pas d'un minimum de sécurité ? Des régimes peu représentatifs, qui perçoivent toute ouverture comme une menace, ne peuvent, en outre, pas engager de véritable démocratisation.
P. I. - Bachar el-Assad en Syrie, Oudaï Hussein en Irak, Sayef el-Islam Kadhafi en Libye : les Républiques arabes organisent de plus en plus leurs successions à l'image des monarchies, en termes dynastiques...
H. A. - C'est la âssabiya d'Ibn Khaldoun, cet esprit de corps, de clan, de tribu qui, pour se perpétuer, se réfugie paradoxalement dans une institution que tous ces dirigeants ont combattue, mais qui connaît une nouvelle vogue. On crée donc sa propre monarchie, sa propre dynastie. L'avenir de ces « arrangements est néanmoins très incertain. L'équilibre ethnique sur lequel ils reposent rend une réelle ouverture problématique. Ces régimes ont, en effet, besoin d'une certaine tension à la fois pour durer et pour justifier leur immobilisme. Mais ils doivent aussi éviter une pression trop forte qui risquerait de provoquer des ruptures. La nécessité de préserver les équilibres économiques constitue, d'un autre côté, une contrainte pour le développement, la croissance et la gestion de la mondialisation. Ces régimes sont soumis à des forces tellement contradictoires qu'on ne les imagine pas se reproduire ad vitam aeternam. Dans des pays qui, comme l'Égypte, ont connu une relative ouverture économique, il paraît en revanche difficile d'organiser une succession dynastique. Ce sont …
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