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LA JORDANIE ENTRE DEUX CRISES

Crise israélo-palestinienne, campagne militaire américaine annoncée contre l'Irak : la Jordanie ne pouvait imaginer conjoncture plus délicate à gérer. Coincé entre deux fronts explosifs, le royaume hachémite apparaît plus que jamais au cœur des turbulences régionales — même s'il reste, pour le moment, relativement épargné. « La Jordanie est une oasis de stabilité et de modération dans un Proche-Orient en effervescence », se plaisent à rappeler les autorités jordaniennes. Pourtant, dans les milieux officiels, l'inquiétude est bien réelle, d'autant que l'opinion jordanienne reste majoritaitement pro-palestinienne et pro-irakienne.
L'heure du désenchantement
Tout au long de sa jeune histoire, le royaume a toujours su se sortir des pires situations grâce à la maestria politique de feu le roi Hussein, père de la Jordanie moderne. Ainsi, lors du « Septembre noir » de 1970, le souverain hachémite se débarrassa des fedayin palestiniens au prix d'une répression sanglante qui lui permit, à la fois, de sauver son trône et son régime. Mais, vingt ans plus tard, pendant la crise irakienne de 1990-1991, la Jordanie fut contrainte d'absorber près de 300 000 Palestiniens expulsés du Koweït et des pays du Golfe, aggravant ainsi le déséquilibre démographique au détriment des Transjordaniens de souche.
A l'époque, la neutralité bienveillante du roi Hussein vis-à-vis de Bagdad — une posture adoptée sous la pression de la rue — lui avait coûté cher tant sur le plan politique qu'économique. Mais il redevint finalement l'interlocuteur privilégié des États-Unis dans le monde arabe en signant, en 1994, un traité de paix avec Israël. Cette paix, qui reçut la bénédiction de la communauté internationale, devait permettre au royaume de décoller économiquement et de transformer la vallée du Jourdain en une vallée de prospérité. Aujourd'hui, l'heure est au désenchantement.
La montée de l'instabilité
Huit ans après ce traité de paix, les perspectives ont, en effet, radicalement changé. Abdallah II a succédé au roi Hussein, décédé le 7 février 1999. Propulsé aux commandes du royaume presque par hasard, le jeune souverain prend à 37 ans les rênes d'un pouvoir qui devait, en principe, revenir au prince Hassan, le frère du roi. Mais à la surprise générale et après des rebondissements dignes des meilleures séries B américaines, Hassan a été brutalement écarté de la succession par Hussein, agonisant sur son lit d'hôpital. Depuis le déclenchement de l'Intifada, le 28 septembre 2000, Abdallah II subit sa première épreuve du feu : une crise majeure au Proche-Orient qui, en quelques semaines, bascule dans la tension et la violence.
Confrontées à une vague populaire de solidarité avec ce nouveau soulèvement dans les Territoires palestiniens, les autorités jordaniennes ne prennent pas de gants et utilisent la manière forte : les manifestations sont durement réprimées et bientôt interdites. On relèvera même plusieurs morts dans le camp palestinien de Baqaa. Des arrestations ont lieu un peu partout dans le royaume, notamment dans les milieux islamistes et palestiniens. Le pouvoir redoute des dérapages sécuritaires et une déstabilisation du pays, où le clivage Transjordanien/
Palestinien reste une donnée fondamentale de la vie sociale et …