Galia Ackerman -Votre thèse sur le terrorisme a fait couler beaucoup d'encre : derrière chaque terroriste - disiez-vous après l'attentat contre le World Trade Center -, il y a un nihiliste qui s'ignore. Un an plus tard, le pensez-vous toujours ?
André Glucksmann - Oui, je maintiens mon diagnostic. Notre concept de « terrorisme doit être revu de fond en comble à la lumière du 11 septembre. Douze mois déjà. Les décombres de Ground Zero sont déblayés, mais les conséquences morales et mentales du plus grand attentat terroriste de l'Histoire nous rongent, obscures, inquiétantes et pas encore élucidées. Jadis tout combattant irrégulier, n'importe quel « partisan sans uniforme pouvait être catalogué, voire stigmatisé, comme terroriste. La chute des Twin Towers met à l'ordre du jour la menace spécifique et indépassable d'un terrorisme radicalement dévastateur, l'hybris nihiliste. Il ne s'agit point là d'une invention idéologique, diffusée par d'épouvantables faucons nichés à la Maison-Blanche ; il s'agit d'une perception immédiate véhiculée planétairement par le choc des images dans le fracas des effondrements. Après coup, on s'emploie à « raison garder , c'est-à-dire souvent à ratiociner, à escamoter. Mais, sur le moment, on perçoit en mondovision une folie destructrice avec laquelle il faudra vivre et, dans la mesure du possible, survivre.
G. A. - Mais pourquoi ce nom de « Ground Zero pour désigner le périmètre de la catastrophe ?
A. G. - L'appellation consacre une étrange impression de déjà-vu. Le baptême fut instantané, aucun journaliste ne revendique de droits d'auteur. Entre le nom et la chose, l'insolite adéquation parut sauter aux yeux. Interrogeons cette évidence, si évidente que nul ne l'ausculte : à l'origine, « Ground Zero nomme le cœur de l'explosion nucléaire qui eut lieu le 16 juillet 1945 à 5 h 29 quelque part au Nouveau Mexique - dernière expérience scientifiquement contrôlée avant le largage de la Bombe sur le Japon. Ainsi, avant toute interprétation, théorisation ou manipulation, le 11 septembre est vécu à chaud par ceux qui le subissent comme par ceux - la terre entière - qui le contemplent, dans l'horizon d'un Hiroshima-bis. Intuition ineffaçable d'un terrorisme d'ampleur nucléaire à disposition de n'importe quel acheteur de cutter ! « Notre avenir repose entre nos mains , déclara le président des États-Unis, Harry Truman, en annonçant Hiroshima. L'opinion et les intellectuels firent chorus : « Nous voilà revenus à l'an Mille, chaque matin nous serons à la veille de la fin des temps (J.-P. Sartre). Tous mortels, tous embarqués, et chacun responsable de la survie. On oubliera vite. Pendant près de cinquante ans, le sort du monde demeura l'apanage de quelques décideurs à la tête des rares puissances nucléaires. Le futur de l'espèce se jouait à huis clos, dans le cercle fermé des grands et supergrands, tandis que cinq milliards de terriens vaquaient aux affaires courantes. Le 11 septembre change tout.
G. A. - En quoi, précisément, le 11 septembre change-t-il tout ?
A. G. - Manhattan exhibe la possibilité d'un Hiroshima-bis, le pouvoir annihilateur se démocratise radicalement. …
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