Les Grands de ce monde s'expriment dans

CE N'EST QU'UN AU REVOIR...

Jacques Rupnik - La mort de l'Otan fut annoncée au moins deux fois : après la fin de la guerre froide et au lendemain du 11 septembre 2001. Or le sommet que vous avez organisé à Prague, fin novembre 2002, fut présenté comme celui du renouveau de l'Alliance. Est-ce le début d'une résurrection ?
Vaclav Havel - Il y a une étiquette médiatique qui me colle à la peau : on raconte que j'étais favorable à la dissolution de l'Otan puis que je serais devenu son indéfectible défenseur ; que j'aurais bataillé non seulement pour y faire entrer la République tchèque mais pour en adapter le mode de fonctionnement à une Alliance élargie. En fait, lorsque je revois mon parcours, j'ai plutôt le sentiment qu'avec ce dernier sommet se réalise ce que nous avions imaginé de façon un peu naïve dans notre Appel de Prague (1) des années 1980. Nous pensions alors qu'il fallait dissoudre le Pacte de Varsovie, dans lequel nous voyions l'instrument de la domination de Moscou. Nous pensions aussi que, si les choses bougeaient en Europe, son pendant occidental, créé pour résister à l'expansion soviétique, perdrait sa raison d'être et qu'il faudrait alors mettre en place une nouvelle structure de sécurité européenne. C'est précisément ce qui vient de se produire à Prague, avec cette différence : au lieu de créer une structure entièrement neuve, c'est l'ancienne qui s'est progressivement transformée. Je me souviens de ma première conversation avec Bush-père en février 1990. Nous avions parlé non pas de " dissoudre " l'Alliance - ce n'était qu'une boutade dans mon discours au Congrès - mais de changer son appellation car, disais-je, elle accueillerait bientôt de nouveaux pays membres qui n'auraient pas grand-chose à voir avec l'Atlantique. Bush-père répétait sans cesse : " C'est une idée intéressante. " Sans doute n'en pensait-il pas moins. Et voilà qu'à Prague, devant Bush-fils, un premier ministre européen (je crois que c'était le Belge Guy Verhofstadt) propose de rebaptiser l'Alliance ! N'est-ce pas un beau clin d'œil de l'Histoire ?
J. R. - Rebaptiser implique de redéfinir. À ce stade, deux options sont possibles : soit une organisation de sécurité collective paneuropéenne avec la Russie, soit une alliance militaire adaptée aux nouvelles menaces que sont le terrorisme, l'Irak, voire la défense des intérêts occidentaux au Moyen-Orient. Laquelle de ces deux approches privilégiez-vous ?
V. H. - Pour ce qui concerne la sécurité collective, nous avons déjà la CSCE. Il faut éviter de faire double emploi. Je pense que l'Otan doit rester une alliance du monde occidental chargée de défendre les valeurs démocratiques, et c'est en tant que telle qu'elle doit construire une nouvelle relation avec la Russie. Si la Russie devait y entrer, alors pourquoi pas l'Arménie ou la Géorgie ? D'autres s'étonneront : " Puisque l'Arménie est admise, pourquoi pas l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan ? " Puis la Thaïlande aura beau jeu de faire remarquer : " Mais nous sommes plus démocratiques que le Kazakhstan. Pourquoi pas nous ? " C'est sans …