Après treize années passées à la tête de l'État, le Tchèque Vaclav Havel quitte le pouvoir. Homme-symbole de la résistance intellectuelle à l'oppression communiste, défenseur universellement respecté de l'éthique en politique, héraut de la résurrection de l'Europe centrale, dramaturge et essayiste engagé, conscience vivante d'une nation exemplaire, Havel est unique.
Nous nous réjouissons qu'il ait choisi Politique Internationale pour dialoguer avec son ami Jacques Rupnik, juger les bouleversements des deux dernières décennies, méditer sur l'unité de destin entre le Vieux continent et les États-Unis, évaluer les chances de cette revanche sur Yalta " qu'est l'Union européenne à 25...
Nos lecteurs apprécieront, je crois, la force intérieure et la lucidité flamboyante de cet homme qui - comme l'a joliment écrit l'un de ses biographes, Jean Picq - a eu recours à l'écriture pour résister, à la parole pour dénoncer, à la morale pour agir...
Vaclav Havel n'est, bien évidemment, pas le seul à évoquer, dans ce Numéro d'hiver, les charmes et les risques d'une Europe élargie. En 2004, on le sait, dix nouveaux membres viendront rejoindre les quinze membres actuels de l'Union européenne : à qui profitera réellement cette extension d'une ampleur sans précédent ? La future grande Europe " sera-t-elle, comme certains le redoutent, moins intégrée et plus pro-américaine ? Au-delà de 2004, le processus d'élargissement se développera-t-il de façon aussi irréversible " qu'on l'a prédit à l'issue du récent Sommet de Copenhague ? Est-il possible et souhaitable que la Turquie fasse un jour, elle aussi, partie de ce Club si envié ?
À toutes ces questions, et à bien d'autres, répondent dans nos pages ceux qui décryptent l'actualité et ceux qui la font.
Faut-il rappeler que toutes ces évolutions ne se déploient pas dans un univers étanche et que le paysage euro-atlantique ne saurait s'édifier sans tenir compte des arrière-pensées - domestiques et internationales - de Vladimir Poutine ? Or, précisément, l'hôte du Kremlin demeure une énigme. Rêve-t-il de stabilité ou de puissance ? Est-il l'instrument des oligarques, des mafias et des généraux ou, au contraire, les tient-il dans le creux de sa main ? La prise d'otages du théâtre de Moscou, en octobre dernier, fut-elle l'expression d'une radicalisation du terrorisme tchétchène ou, à l'inverse, un savant et machiavélique montage des agents spéciaux du FSB ?
Tant que de tels mystères n'auront pas été élucidés, tous les discours sur la nouvelle alliance russo-occidentale resteront frappés de précarité...
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Après l'Europe, l'Irak. Depuis des mois, les mêmes lancinantes spéculations taraudent ceux qui jugent une intervention militaire contre Bagdad inévitable : que se passera-t-il après la chute de Saddam Hussein ? Quel type de régime le pays connaîtra-t-il ? La fin de la dictature irakienne aura-t-elle un effet déstabilisateur sur la théocratie iranienne, de plus en plus fortement contestée de l'intérieur ? La même onde de choc frappera-t-elle, au Proche-Orient, le système Arafat " - un système corrompu et incapable de prendre les initiatives qui pourraient redonner des chances à la paix ? Au-delà de ces probables recompositions " politiques dans le monde arabe, quel sera l'impact d'une nouvelle guerre du Golfe sur le marché des hydrocarbures et, de façon plus générale encore, sur l'économie mondiale ? Comment l'Arabie saoudite réagira-t-elle ? Les dirigeants saoudiens auront-ils à cœur de redevenir des alliés totalement loyaux de Washington ?
Là encore, acteurs et experts exposent leurs points de vue.
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Ce Numéro, enfin, serait incomplet sans un double coup de projecteur sur :
- l'inquiétante évolution du trafic de la drogue et ses liens de plus en plus intimes avec le terrorisme international ;
- la crise ivoirienne. Une crise qui enflamme depuis plusieurs mois la clé de voûte " de l'Afrique de l'Ouest et qui, quelle que soit l'issue des tractations en cours, se traduit déjà par le plus fort engagement militaire français sur le continent Noir depuis une vingtaine d'années. La France sortira-t-elle panache haut de cet imbroglio aux conséquences imprévisibles ?
De Washington à Moscou, de Prague à Grozny, de Bagdad à Abidjan, nous avons tenté, on en conviendra, de dévoiler le dessous des cartes et d'éclairer l'envers du décor, même lorsqu'il est déplaisant. Goethe ne disait-il pas : Je préfère une vérité nuisible à une erreur utile car la vérité guérit le mal qu'elle a pu causer " ?
À toutes et à tous : bonne lecture.