William Holstein - Tant à la présidence de la Réserve fédérale américaine, de 1979 à 1987, qu'à la tête de la Commission trilatérale, de 1991 à 2001, vous vous êtes toujours présenté comme un farouche partisan d'une coopération renforcée entre les grandes nations développées (Amérique du Nord, Europe, Japon) pour gérer l'économie mondiale. Où en est-on aujourd'hui ? Comment la coopération internationale se porte-t-elle ?
Paul Volcker - Pas aussi bien qu'il le faudrait ! Il y a dix ans, la chute de l'empire soviétique avait provoqué une vague d'euphorie. On croyait voir s'ouvrir une ère nouvelle, une période de croissance et d'intégration économique mondiale ininterrompues. Tout le monde allait en profiter ! Or si les États-Unis ont connu une prospérité exceptionnelle au cours de la seconde partie des années 1990, le reste du monde, lui, n'a pas eu une fortune comparable. Un mouvement " anti-mondialisation " s'est donc développé, qui prend parfois des formes violentes. A-t-il un sens ou bien constitue-t-il une aberration historique ? Nous devons, en tout cas, reconnaître que les performances de l'économie mondiale sont médiocres. Le Japon s'est enfoncé dans la crise. Les pays émergents, en particulier, ont souffert. Les deux seules économies qui semblent avoir tiré leur épingle du jeu sont la Chine et l'Inde, deux nations en marge du processus de mondialisation. Ce constat nous pose un vrai problème.
W. H. - La politique américaine en matière de gestion budgétaire et de déficit commercial ne représente-t-elle pas une menace pour l'ordre mondial, tout comme la récente série de faillites et de scandales financiers ?
P. V. - Malgré la récession - dont l'ampleur est restée limitée - les États-Unis bénéficient du taux de croissance le plus élevé des pays industrialisés. Ce qui, du fait de notre tendance à importer massivement, profite à tout le monde, du moins sur le court terme. Notre croissance reste, néanmoins, fondée sur une série d'éléments qui ne sauraient durer indéfiniment : nous avons tendance à consommer quasiment tout notre revenu ; notre déficit commercial atteint un niveau record, de l'ordre de 500 milliards de dollars par an ; nous sommes très endettés. Nous finançons facilement notre déficit en raison de l'attraction exercée par le marché américain sur les capitaux étrangers. Mais cette situation reflète moins notre force que la faiblesse du reste du monde. Nous ne parviendrons pas à fonder une prospérité durable sur un terreau aussi peu fertile.
W. H. - Ne craignez-vous pas que l'affaire Enron et la mise en cause du cabinet d'audit Arthur Andersen ne sapent la confiance des investisseurs dans le marché américain ?
P. V. - Cette question pose le problème de l'exportation du modèle de gouvernance " anglo-saxon ". Lors de la crise asiatique, au cours des années 1997-1998, les partisans du modèle américain triomphaient. Ils donnaient des leçons aux pays en crise : " Pourquoi n'adoptez-vous pas nos modes de gestion ? Parce que vos mœurs corporatistes et clientélistes vous en empêchent ? " Personnellement, j'ai toujours considéré qu'une telle …
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