Galia Ackerman - En 1995, vous avez créé la Fondation pour une politique efficace dont vous êtes toujours le directeur. Quels sont ses objectifs ?
Gleb Pavlovski - En Russie, nous réinventons tout. Les choses existent déjà ailleurs, mais nous ne le savons pas nécessairement. Or le temps presse ! La Fondation a été créée par un petit groupe de personnes qui avaient été à l'origine du lancement de nouveaux médias à la fin des années 1980. À titre personnel, j'ai été le créateur et le premier directeur de l'agence de presse Postfactum. Notre objectif était de promouvoir les investissements dans les médias et de transformer ces derniers en instruments politiques. Notre but : contourner le pouvoir de la bureaucratie.
G. A. - Pourquoi ce besoin subit ?
G. P. - Au milieu de la décennie 1990, la Russie se trouvait dans une impasse. Les démocrates frais émoulus s'enfonçaient dans des discussions idéologiques, tout en dépendant de puissants soutiens financiers. La bureaucratie parvenait à retrouver une légitimité sous la bannière démocratique, mais sans pour autant changer de nature. Nous vivions dans l'aura mystique du pouvoir eltsinien. Boris Eltsine symbolisait notre vie nouvelle, bien que son régime ne gouvernât rien, ni ne protégeât personne : ni la population, assaillie par les affairistes ; ni les entrepreneurs, pris entre une concurrence sauvage et le racket pratiqué par la mafia. Le pays s'enfonçait dans la peur. Chacun se résignait à une issue tragique. J'ai refusé cette fatalité. Je voulais agir, comme les autres créateurs de la Fondation. Nous avions tellement d'idées ! L'un d'entre nous, Marat Guelman, qui dirigeait une galerie d'art, voulait, par exemple, introduire de nouveaux styles artistiques en politique...
G. A. - Votre groupe a contribué à développer une spécialité fort répandue en Russie, mais très mal comprise en Occident : les " technologies politiques ". Comment les définiriez-vous ?
G. P. - Nous avons vécu, pendant des décennies, dans une société où la politique au sens propre n'existait pas. Les luttes qui opposaient les différents clans au sein de l'appareil d'État n'étaient pas connues du grand public et n'avaient pas de positionnements idéologiques clairs. Afin de nous démarquer du système soviétique, nous avons commencé à utiliser une approche dite " technologique ". Celle-ci s'appuie sur plusieurs instruments : le lobbying, le placement de bons candidats à des postes stratégiques, l'" image-making " et le dénigrement systématique de nos adversaires politiques. Nous avons acquis une compétence très poussée dans cette discipline, jusqu'à en faire une véritable science. Notre but était de tenter, pour la première fois, d'influencer les résultats des élections en réunissant des personnes qui possédaient des connaissances en sciences humaines. L'intelligentsia avait été complètement écartée du pouvoir. Mais une voie royale s'ouvrait désormais devant elle : celle des médias. Notre premier test, ce fut le scrutin parlementaire de décembre 1995.
G. A. - En 1995, vous jetez votre dévolu sur le général Lebed...
G. P. - Exact. Nous avons fabriqué l'image de ce militaire de carrière : un …
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