Les Grands de ce monde s'expriment dans

PORTUGAL : LA PORTE ÉTROITE DU RENOUVEAU

Jean-Jacques Lafaye - Monsieur le Premier ministre, avant de parler du Portugal, parlons un peu de vous. Comment votre vocation politique est-elle née ?
José Manuel Durão Barroso - Je me suis passionné pour la politique dès le plus jeune âge, vers treize ou quatorze ans. Le Portugal vivait encore sous un régime autoritaire et je m'intéressais surtout aux livres interdits. De ce point de vue, j'étais un rebelle ! Il y avait, dans ma famille, une tradition très conservatrice car mon grand-père était monarchiste. Il s'était opposé à la république instaurée à la suite de la révolution de 1910. Il a même eu de sérieux problèmes ; il a dû s'exiler au Brésil, où mon père est né et où une partie des miens vivent encore. Lorsque j'étais enfant, j'entendais toujours : " Souviens-toi de ce qu'a souffert ton grand-père. Tu peux tout faire dans la vie, sauf de la politique ! " C'était un peu le fruit défendu.
J.-J. L. - On dit que vous avez été maoïste au temps de la révolution des œillets, contre-communiste en somme...
J. M. D. B. - Juste avant la révolution, je me suis inscrit à la faculté de droit de Lisbonne, qui était alors très politisée. Les partis étaient interdits, mais il existait deux mouvements étudiants : l'un était proche du Parti communiste, l'autre d'une petite organisation maoïste. J'ai adhéré au second. Les gens qui en faisaient partie étaient - je dois le dire - beaucoup plus intéressants que les communistes. Il faut, bien entendu, se replacer dans le contexte de l'époque : j'étais un jeune étudiant de dix-sept ou dix-huit ans. Mais je suis fier de cette période parce que c'était un temps de forte mobilisation politique, y compris sur le plan physique. Dans ces années-là, les communistes étaient adeptes des méthodes musclées...
J.-J. L. - Quelque temps plus tard, vous rejoignez le Parti social-démocrate : comment êtes-vous passé de l'un à l'autre ?
J. M. D. B. - En un certain sens, c'est un retour aux origines, car je viens d'une famille du nord du pays, du Tras-os-Montes, qui est la terre natale du PSD. Maintenant, si vous me demandez pourquoi j'ai décidé de le rejoindre précisément à ce moment-là, c'est comme toujours un concours de circonstances. J'avais dix-neuf ans ; c'était en 1975. Mon père était très malade et, pour tenter de le sauver, toute la famille est partie pour Londres où de nouveaux traitements étaient expérimentés. Lorsque je suis arrivé en Grande-Bretagne, j'ai compris à quel point le Portugal était, comme on disait, un " manicomio ", un asile de fous ! Je me suis rendu compte que nous étions dans une situation totalement surréaliste ! À partir de là, je me suis éloigné de mon radicalisme de jeunesse, et j'ai retrouvé mes amis, ma famille, qui tous étaient inscrits au PSD. J'ajoute que j'avais une très grande admiration pour Sà Carneiro (1). Sa mort a été, pour nous tous, un grand choc émotionnel. Je me trouvais …