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CÔTE D'IVOIRE : L'ENGRENAGE

Xavier Harel - La Côte d'Ivoire a connu en septembre 2002 son sixième putsch - ou tentative de putsch - en deux ans et demi. La dernière mutinerie a fait des centaines de morts à Abidjan et à Bouaké. Le pays semble menacé de partition et les relations avec ses voisins sont de plus en plus tendues. Poumon économique de l'Afrique de l'Ouest, longtemps considérée comme un havre de paix multiethnique, la Côte d'Ivoire est gagnée par une instabilité chronique qui n'est pas sans rappeler le Libéria ou la Sierra Leone. Comment en est-on arrivé là ?
Ahmadou Kourouma - Pour comprendre ces crises à répétition, on ne peut pas simplement s'arrêter à la mutinerie de septembre. Les racines du mal sont beaucoup plus anciennes. Elles remontent à la guerre froide. Durant toute cette période, les chefs d'État africains ont pu rançonner, piller, assassiner comme bon leur semblait. L'effondrement de l'empire soviétique et la disparition de la confrontation idéologique entre Moscou et Washington ont mis un terme à cette époque. Lorsque le mur de Berlin est tombé, François Mitterrand s'est engagé à soutenir les pays africains qui prendraient le chemin de la démocratie. La plupart d'entre eux ont alors organisé des conférences nationales auxquelles furent conviés les cadres du pays et les proches du pouvoir. Il s'agissait de dénoncer les dérives du passé et de favoriser l'émergence d'une nouvelle classe dirigeante. Mais tous les chefs d'État n'ont pas accepté de repartir de zéro. C'est ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire : Houphouët-Boigny a refusé d'organiser une telle conférence. Comme le " Vieux " avait commis de nombreux abus sous son règne, il s'est trouvé un dauphin qui ne déballerait pas le linge sale : Henri Konan Bédié. C'était un homme du sérail qui, hélas, n'avait pas la stature intellectuelle d'un chef d'État. Henri Konan Bédié a voulu faire du neuf, sans avoir la moindre idée de la manière dont il fallait s'y prendre. Il aurait dû engager des réformes, combattre la corruption et chasser les anciens potentats qui s'étaient abondamment servis dans les caisses de l'État. Mais il avait lui-même tellement usé et abusé du système qu'il lui était impossible de s'attaquer aux vrais problèmes. Il s'est donc emparé du thème de l'" ivoirité ".
X. H. - Qu'est-ce que l'ivoirité ?
A. K. - La Côte d'Ivoire est un pays multiethnique qui compte également une forte proportion d'étrangers - officiellement 26 % de la population - venus du Burkina Faso, du Mali, du Sénégal et du Niger. Le concept d'ivoirité a d'abord consisté à faire la distinction entre les Ivoiriens dits de souche et les autres. En réalité, ce n'est rien de plus qu'une forme de nationalisme xénophobe. Ce sont les idées défendues par Jean-Marie Le Pen en France. À ceci près que le leader du Front national n'est jamais arrivé au pouvoir. Imaginez un instant que Jacques Chirac reprenne à son compte les thèses de Jean-Marie Le Pen sur le perron de l'Élysée. Eh bien, c'est ce …