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POUTINE, LE PRISONNIER DU CAUCASE

L'Occident avait presque fini par croire à la fameuse "stabilisation" russe dont parle tant le Kremlin. Presque fini par oublier cette lointaine guerre caucasienne que seuls quelques journalistes russes et étrangers s'acharnent à raconter.
Mais, le 23 octobre dernier, les Tchétchènes ont fait échec au tsar. Une spectaculaire prise d'otages réalisée par un commando exigeant le départ des troupes russes de Tchétchénie débute au théâtre de la rue Dubrovka, à Moscou. En Russie, la nouvelle fait l'effet d'une bombe. Brusquement, la guerre du Caucase déborde, pour s'inviter avec fracas au cœur d'une capitale russe qui faisait mine de ne plus y songer. En quelques minutes, près de 800 personnes réunies pour assister à une comédie musicale à la mode - " Nord-Ost " - se retrouvent prisonnières des kamikazes du chef de bande tchétchène Movsar Baraïev. Élu sur sa promesse de " buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes ", Vladimir Poutine est défié jusque dans ses murs moscovites.
Les conséquences seront terribles. Refusant a priori toute négociation sous la menace, le pouvoir russe n'a d'autre option que la force. Alors que les troupes spéciales lancent précipitamment une opération de libération des otages, la dispersion dans le bâtiment d'un gaz dangereux, destiné à neutraliser les terroristes, va provoquer un véritable carnage parmi les civils - d'autant que les forces de l'ordre se refuseront catégoriquement à révéler aux médecins la nature de la substance utilisée. Au total, le bilan officiel fait état de quelque 129 victimes parmi les otages, auxquelles il faut ajouter la quarantaine de kamikazes qui formaient le commando (1).
Le pouvoir a beau crier au " succès ", l'épisode de Nord-Ost a tourné à la tragédie. Le président avait parié sur la " norma-
lisation " du conflit tchétchène. Mais l'action terroriste du
commando Baraïev démontre avec éclat l'échec de la pacification de la petite république. La Russie s'est révélée tout aussi incapable d'imposer la paix que de la négocier.
Curieusement, les dirigeants occidentaux vont faire comme si le drame de la rue Dubrovka n'avait jamais existé. Poutine sera félicité pour sa gestion " réussie " de la crise et encouragé à poursuivre sa " lutte contre le terrorisme ", notamment lors de la rencontre qu'il aura à Saint-Pétersbourg, le 21 novembre, avec le président américain George W. Bush. Il est vrai que, aux États-Unis, la lutte anti-terroriste prime sur tout le reste, et que la Tchétchénie, jadis objet de sollicitude, n'est plus un sujet de préoccupation politique. La thèse des Russes, qui la présentent comme un haut lieu de la lutte mondiale menée par Al-Qaida contre les Infidèles, est même implicitement entérinée.
Lors du sommet Union européenne-Russie, les Européens tentent bien, sous la houlette de la présidence danoise, d'inciter poliment leur hôte à la négociation avec la résistance tchétchène en soulignant que la résistance armée, même teintée d'islamisme, est avant tout un mouvement de libération nationale. Mais, confrontés à une véhémente fin de non-recevoir, ils s'empressent de ranger l'épisode de Nord-Ost sur l'étagère des mauvais souvenirs. Comme …