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AMÉRIQUE LATINE : LE CONSENSUS DE BRASILIA

C'était hier, l'heureuse décennie 1990. Il semblait alors évident que l'Amérique latine avait fait de son calamiteux passé table rase : c'en était fini des dictatures et des révolutions, des guérilleros et des caudillos, de l'autarcie et des putschistes. L'heure était au consensus démocratique et libéral : tandis que les dirigeants politiques nouvellement élus privatisaient et ouvraient leurs frontières aux marchandises et aux capitaux étrangers, les populations rêvaient à la fin de la misère et à leur entrée tant attendue dans le " premier monde ". Puis est venu le temps de la désillusion.
Un tiers de la population latino-américaine vit toujours dans la pauvreté et le modèle libéral est très largement critiqué. Le populisme d'antan a fait un retour remarqué, notamment au Venezuela. Mais, finalement, lui non plus ne fait pas recette. L'Amérique latine recherche désormais un juste équilibre entre les bienfaits des échanges extérieurs et les priorités domestiques. Elle inaugure, sous nos yeux et sans modèle, un nouveau consensus dont les lignes de force se définissent, notamment, à Brasilia. Le continent vit un moment fragile, instable, à la fois dangereux et prometteur, sur fond de crises sociales et financières, mais aussi de processus démocratique, de pragmatisme économique, de justice et d'équité. Un moment passionnant.
De la désillusion à l'espérance
La réalité, en Amérique latine, est donneuse de leçons. Et les peuples y sont d'autant plus attentifs que la démocratie les a rendus responsables de leur destin. Mais la démonstration est parfois brutale : en Argentine, où la chute de l'économie a entraîné un véritable désastre social ; en Colombie, où un conflit vieux de quatre décennies continue de mettre aux prises le gouvernement, deux guérillas marxistes et une nébuleuse de groupes paramilitaires ; au Venezuela, enfin, où l'agitation sociale fragilise chaque jour davantage le régime du président Hugo Chavez, un ancien militaire putschiste démocratiquement élu en décembre 1998, chantre d'une improbable révolution néo-bolivarienne. Chavez a été victime, en avril 2002, d'une tentative de coup d'État qui tourna à la déroute pour ses adversaires. Ce coup d'État manqué en rappelle d'autres, réussis ceux-là, où parfois la rue et les casernes se sont unies pour en finir avec un pouvoir contesté. Ce fut le cas en Équateur, où deux présidents (Abdala Bucaram en 1997 et Jamil Mahuad en 2000) ont été renversés sous la pression populaire. Au Paraguay (Raul Cubas en mars 1999) et en Argentine (Fernando De la Rua en décembre 2001), ce sont plutôt les efforts conjugués de la classe politique et de la foule - la seconde manipulée par la première - qui ont eu raison de chefs d'État affaiblis. Il y eut aussi des émeutes - à Quito ou Caracas, à Arequipa, Lima, Asuncion ou Montevideo - et des secousses financières à répétition.
Mais ces expériences ont porté leurs fruits. La vérité redevient préférable à l'illusion - celle d'un peso argentin valant un dollar américain, par exemple - et, avec elle, l'Argentine redécouvre la juste valeur des choses et du travail. En Colombie, l'idée que la …