Les Grands de ce monde s'expriment dans

IRLANDE DU NORD : LA FIN DU TERRORISME ?

Pierre Joannon - Monsieur le premier ministre, en apprenant que vous étiez lauréat, avec John Hume, du prix Nobel de la paix 1998, vous avez déclaré que cette distinction était un peu " prématurée ". Pourquoi ?
David Trimble - J'ai dit que j'espérais qu'elle ne s'avérerait pas prématurée - ce qui n'est pas tout à fait la même chose. L'accord du Vendredi Saint était une avancée formidable, mais il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir que sa mise en œuvre poserait d'innombrables difficultés. Je n'avais pas oublié que le prix Nobel de la paix 1976, décerné à Betty Williams et Mairead Corrigan, n'avait pas empêché le Mouvement pour la paix qu'elles dirigeaient de se désintégrer au bout de deux ans à peine. L'exemple avait de quoi m'inciter à la modestie.
P. J. - En 1974, vous aviez contribué à l'échec de l'accord de Sunningdale ; mais, depuis 1998, vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour défendre l'accord du Vendredi Saint que Seamus Mallon, votre ancien vice-premier ministre, qualifiait pourtant de " Sunningdale pour étudiants attardés ". Avez-vous changé d'avis ou voyez-vous une différence majeure entre les deux accords ?
D. T. - À mes yeux, un abîme sépare ces deux textes. Ce qui était en jeu en 1974 n'était pas, comme on l'a dit, le principe du partage du pouvoir entre protestants unionistes et nationalistes catholiques. J'en veux pour preuve que, en 1975, Bill Craig et moi-même avions défendu l'idée d'une coalition volontaire avec les catholiques modérés du SDLP. C'est la question constitutionnelle qui fit tout échouer. Le Conseil de l'Irlande prévu par Sunningdale était, tout simplement, un embryon de gouvernement pan-irlandais ! À l'inverse, le Conseil ministériel Nord-Sud institué par l'accord du Vendredi Saint est un organe soumis au contrôle de l'Assemblée d'Irlande du Nord. Si les relations entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord, naguère si controversées, ne posent plus aucun problème aujourd'hui, c'est incontestablement grâce à cette architecture constitutionnelle qui respecte la réalité de la situation. Quant à la " petite phrase " de Seamus Mallon, je vous rappelle qu'elle s'adressait au Sinn Fein !
P. J. - Dans votre discours d'Oslo lors de la cérémonie de remise du prix Nobel, vous avez eu cette phrase qui a fait couler beaucoup d'encre : " Les unionistes d'Ulster, redoutant d'être isolés dans l'île, bâtirent une solide maison, mais ce fut une maison froide et inhospitalière aux catholiques. " Dans quelle mesure les catholiques ont-ils fait l'objet de discriminations en Irlande du Nord ?
D. T. - Je tiens à préciser que, compte tenu du climat d'extrême violence qui régnait dans les années 1920, les unionistes se sont comportés le plus humainement possible. James Craig (6), quoi qu'on ait pu en dire, se souciait du sort des catholiques, même s'il rejetait toute velléité nationaliste. D'ailleurs, entre 1920 et 1970, leur situation économique et sociale n'a cessé de s'améliorer, et l'écart avec les protestants s'est sensiblement réduit, non seulement en termes absolus, …