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LE LONG APPRENTISSAGE DE LA PAIX

Le 1er juillet 1998, le protestant David Trimble était élu premier ministre du gouvernement intercommunautaire né de l'application de l'accord du Vendredi Saint . Dans la foulée, il obtenait en décembre, conjointement avec le leader catholique nationaliste John Hume, le prix Nobel de la paix. Cette haute distinction venait récompenser le courage et le pragmatisme dont les deux hommes avaient fait preuve lors des délicates négociations du compromis nord-irlandais. Depuis lors, David Trimble n'a eu de cesse de défendre contre les ultras de son propre camp ce texte fondateur de la nouvelle entente entre catholiques et protestants, non sans soumettre parfois le processus de paix à rude épreuve. Féru de musique classique et d'histoire , cet ancien professeur de droit intègre et réservé est un orangiste aux solides convictions unionistes. En 1973, il est de ceux qui condamnent sans appel l'accord de Sunningdale et participe à la grève générale qui ouvrira la voie à son abrogation. Au sein du mouvement Vanguard de Bill Craig, il n'en recommande pas moins, en 1975, la formation d'une coalition volontaire avec les nationalistes modérés du Social Democratic and Labour Party (SDLP). Il flirte alors avec l'idée d'une Irlande du Nord indépendante. Il plaide également pour la création d'un Conseil des îles Britanniques. En 1977, il s'affilie à la principale organisation politique unioniste, l'Ulster Unionist Party (UUP). Avec constance, il saura profiter des circonstances pour en gravir progressivement tous les échelons. En 1985, il rejette l'accord anglo-irlandais qui confère au gouvernement de Dublin un droit de regard sur la gestion de la crise nord-irlandaise. Afin d'en bloquer la mise en œuvre, il prend langue avec les paramilitaires loyalistes, fréquentations douteuses qui lui seront reprochées d'autant plus vertement qu'elles s'avéreront vaines et inopérantes. Élu député au Parlement britannique par la circonscription d'Upper Bann en 1990, il affiche une intransigeance sereine qui rassure l'électorat unioniste. Ainsi accuse-t-il, en novembre 1991, les conservateurs britanniques de conspirer pour affaiblir les unionistes. Pendant la guerre du Golfe, il compare les articles irrédentistes de la Constitution irlandaise à la revendication de Saddam Hussein sur le Koweït. En 1993, il condamne sans appel les discussions Hume-Adams au motif que l'on ne doit pas traiter avec des " terroristes ". Ce qui lui vaut une réponse cinglante du leader nationaliste modéré, qui le renvoie à ses propres accointances avec des tueurs loyalistes. La déclaration conjointe des premiers ministres britannique et irlandais du 15 décembre 1993, et l'accord-cadre rendu public en février 1995, étape préliminaire de l'accord de paix de 1998, fragilisent la position du président de l'UUP, James Molyneaux, accusé de s'être fait flouer par John Major. À l'heure où le vaisseau unioniste tangue dangereusement, David Trimble se positionne habilement comme un recours possible pour insuffler un souffle nouveau au parti. En juillet 1995, il participe, aux côtés de l'intraitable pasteur Ian Paisley, au " siège de Drumcree ", au cours duquel les orangistes forcent leur chemin à travers un quartier catholique hostile à leur défilé. Cet épisode conforte son image d'homme fort d'un unionisme résolu à ne capituler à aucun prix. Lorsque Molyneaux démissionne le 29 août 1995, David Trimble hésite, puis fait acte de candidature. Porté à la tête de l'UUP le 8 septembre 1995, il cherche à se donner une image de modernisateur. Il commence par briser un tabou en se rendant à Dublin, le 2 octobre 1995, pour conférer avec le Taoiseach (premier ministre irlandais) John Bruton. Alternant les prises de position libérales et les déclarations unionistes bon teint pour faire pièce aux diatribes de Paisley (qui ne va pas tarder à le qualifier de traître), il s'impose comme le pivot incontournable du processus de paix. Incapable de s'opposer à l'entrée du Sinn Fein dans la négociation multipartite malgré le non-désarmement préalable de l'IRA, il refuse néanmoins de pratiquer la politique de la chaise vide décidée par Paisley et certains unionistes dissidents. Trimble peut se targuer d'avoir préservé l'essentiel de l'Union, obtenu l'abrogation de l'accord anglo-irlandais de 1985 et limité le caractère supranational du Conseil ministériel Nord-Sud, instance contrôlée conjointement par l'Assemblée d'Irlande du Nord et le Parlement irlandais. L'approbation de l'accord du Vendredi Saint du 10 avril 1998 par 71,10 % des électeurs nord-irlandais confirme la pertinence de ses choix. Premier ministre d'Irlande du Nord, il n'aura pas la tâche facile. Vilipendé par le Democratic Unionist Party du pasteur Paisley, contesté au sein de son propre parti, il devra faire face à douze scrutins de l'Ulster Unionist Council, instance dirigeante de son parti, décisifs pour sa survie politique. Son bilan est, cependant, mitigé : les institutions nord-irlandaises, qui fonctionnent par intermittence, sont paralysées par les querelles entre unionistes et républicains - au point que par trois fois, entre 1998 et 2001, Londres sera amené à les suspendre. La révélation, à l'automne dernier, d'une vaste opération d'espionnage de l'IRA a provoqué une nouvelle crise parlementaire. Le 14 octobre 2002, Westminster a rétabli pour la quatrième fois son administration directe sur la province. Trois semaines plus tôt, David Trimble, bien inspiré, avait exigé du mouvement républicain qu'il cessât de recourir à la violence et de bafouer la démocratie. Sa fermeté, manifestée tout dernièrement encore à la conférence de Hillsborough des 3 et 4 mars 2003, lui permettra-t-elle de gagner les élections prévues au 29 mai 2003 pour le renouvellement des sièges de l'Assemblée d'Irlande du Nord ? Le scrutin s'annonce très serré ; mais Trimble, qui incarne sans doute la dernière chance de cet unionisme moderne, réformiste et non sectaire, qui n'a jamais été aussi indispensable qu'aujourd'hui en Irlande du Nord, n'est pas homme à s'avouer battu et il a plus d'un tour dans son sac...