Brigitte Adès - Après la guerre, les États-Unis vont-ils gagner la paix ?
Joseph Nye - J'avais dit que les États-Unis gagneraient la paix à trois conditions. D'abord, il fallait que la guerre soit relativement courte. Ensuite, l'administration américaine devait proposer aux pays qui ne sont pas entrés dans la coalition de participer à la reconstruction de l'Irak. Enfin, il était indispensable que la France et l'Allemagne aient le bon sens de se réconcilier véritablement avec Washington (1). J'ai été le premier à critiquer les méthodes de l'administration Bush. Je regrette profondément son arrogance et sa réticence à consulter ses alliés au cours de ces derniers mois. Mais la diplomatie de la France et de l'Allemagne a été tout aussi désastreuse. Il est indéniable que l'attitude de Paris et de Berlin a été pour beaucoup dans l'évolution de la position de Colin Powell.
B. A. - Faites-vous référence à un épisode en particulier ?
J. N. - Powell s'est senti trahi lorsque les Français sont revenus sur les promesses qui lui avaient été faites, surtout à partir du 20 janvier 2003 (2). Plus généralement, comment ne pas déplorer que, tout au long des débats sur le désarmement de l'Irak, les Français aient hésité à montrer à Saddam Hussein qu'ils ne lui permettraient plus de renouveler les violations dont il s'était rendu coupable dans les années 1990 ?
B. A. - Pensez-vous que les clivages entre la France et les États-Unis soient réellement profonds ?
J. N. - Non. Il ne faut surtout pas s'arrêter à cette dispute et laisser la question de l'Irak nous diviser. La France et les États-Unis partagent, en effet, des valeurs et des intérêts communs. Nous avons à livrer ensemble des batailles autrement plus importantes que l'Irak pour l'avenir de nos deux pays : vaincre le terrorisme ; endiguer le danger représenté par la Corée du Nord ; établir la paix au Moyen-Orient ; préserver notre économie... Mais pour se réconcilier, il faut être deux.
B. A. - Comment jugez-vous le timing de la guerre ?
J. N. - Les unilatéralistes ont remporté la première manche. Je n'étais pas d'accord avec le calendrier qu'ils ont imposé, car je pensais qu'il fallait donner un peu plus de temps aux inspections. Mais Richard Perle, Paul Wolfowitz, Donald Rumsfeld et Dick Cheney étaient pressés et leurs arguments ont prévalu. Pour justifier le déclenchement rapide des hostilités, les militaires ont invoqué le coût du maintien des troupes sur place et la chaleur qui, bientôt, entraverait les mouvements des soldats. Pour ma part, je considère que les calendriers militaires ne devraient pas déterminer des décisions de cette importance : le monde l'a appris à ses dépens en 1914 ! Au bout du compte, c'est la conjonction de l'attitude intransigeante de M. Chirac et de l'impatience de M. Rumsfeld qui a déterminé la date du début des hostilités.
B. A. - George W. Bush aurait-il dû attendre d'avoir une coalition plus large pour agir ?
J. N. - Oui. Je reste persuadé …
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