Galia Ackerman - Vous avez été condamné, comme votre confrère Grigori Pasko, pour " espionnage " et " haute trahison ". Ces sentences vous ont valu d'être les deux premiers Russes depuis Andrei Sakharov à obtenir le statut de " prisonnier de conscience " attribué par Amnesty International. Mais vous avez connu des sorts différents : après un âpre combat qui a duré cinq ans et vous a coûté un bref séjour en prison, vous avez été acquitté et libéré ; Pasko, lui, vient d'être libéré sous condition, après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Mais il n'a pas été acquitté, malgré le scandale retentissant que son emprisonnement a provoqué en Occident. Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?
Alexandre Nikitine - En effet, nos deux affaires présentent des similitudes. Grigori et moi avons été arrêtés, jugés et condamnés selon le même modèle : le vieux schéma soviétique de fabrication d'affaires d'espionnage, remis au goût du jour par le FSB (ex-KGB). Seulement, dans mon cas, ce système n'a pas bien fonctionné. Lorsque j'ai été arrêté, en 1996, l'officier d'instruction chargé de m'interroger m'a immédiatement déclaré que je n'avais pas la moindre chance d'être acquitté car j'allais être jugé par un tribunal militaire dont les experts témoigneraient nécessairement contre moi. Pourquoi était-il était aussi sûr de lui ? Tout simplement parce que, dans des affaires liées au " secret d'État ", la défense est habituellement confiée à des avocats proches du FSB, qui ont des autorisations spéciales pour plaider dans ce genre de procès (2). Heureusement, l'organisation écologiste norvégienne Bellona, pour laquelle j'avais travaillé, m'a trouvé un excellent avocat qui n'était pas lié au KGB ou à l'armée, et a mené une grande campagne internationale en ma faveur. Grigori Pasko, lui, n'avait pas d'organisation écologiste pour le soutenir. Beaucoup de temps a été perdu. Privé de tout soutien international au début de son calvaire, dépourvu d'un avocat indépendant, il s'est trouvé entre les mains d'une " Thémis en uniforme " qui l'a envoyé en prison. Comme à l'époque stalinienne, le degré de sa culpabilité n'avait aucune importance. Son procès - qui se déroulait à Vladivostok, loin des yeux de la presse internationale - n'était qu'un macabre rituel, un simulacre de justice ! Les experts militaires sont entièrement " tenus " par leurs supérieurs grâce à un mécanisme très efficace : s'ils désobéissent aux ordres, ils peuvent se voir retirer l'accès à des dossiers classés " secrets ", ce qui signifierait la fin de leur carrière dans l'armée. Je sais, par expérience, comment ce système fonctionne. Le code de procédure pénale autorise les accusés à assister au déroulement des expertises. Mais, sous divers prétextes fallacieux, on m'a dépossédé de ce droit. Conséquence : les experts ont affirmé, dans leurs conclusions, des choses abominables. Permettez-moi de vous en donner un exemple. Dans l'un de mes reportages, j'avais écrit : " Le personnel du sous-marin s'est dirigé vers la salle à manger. " Les experts ont affirmé que cette phrase constituait un …
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