Les Grands de ce monde s'expriment dans

LES RISQUES DE LA TOUTE-PUISSANCE

Thomas Hofnung - Il y a un an et demi, dans un entretien accordé à Politique Internationale (1), vous anticipiez l'impact qu'allaient avoir les attentats du 11 septembre sur la politique étrangère américaine. " On ne sait pas encore si les États-Unis sortiront de cette crise isolationnistes ou multilatéralistes ", disiez-vous à l'époque. Comment les qualifieriez-vous aujourd'hui ?
François Heisbourg - Disons qu'afin d'asseoir encore davantage leur suprématie les responsables de l'administration Bush tentent d'instrumentaliser les outils multilatéraux ! Ils y sont parvenus avec un certain succès au Conseil de sécurité de l'ONU durant l'automne avec l'adoption de la résolution 1441, mais aussi à l'Otan, comme chacun a pu le constater dans l'affaire turque (2). S'ils passent par les institutions multilatérales, ce n'est nullement dans le but d'établir un ordre international équilibré. C'est même le contraire : pour eux, les États-Unis doivent devenir l'unique centre de gravité de la planète. À cet égard, nous avons indubitablement basculé dans un monde unipolaire. Il n'en reste pas moins que la situation n'est pas figée. Les manifestations de l'hégémonie américaine vont-elles se multiplier ? L'épisode irakien annonce-t-il d'autres actions du même type ? Ou, à l'inverse, constatant les dégâts provoqués par cette crise sur ses relations avec ses partenaires de l'ONU, de l'Otan et de l'Union européenne, Washington va-t-il considérer que le jeu n'en vaut pas la chandelle et faire machine arrière ? Il est encore trop tôt pour le dire.
T. H. - N'est-il pas illusoire de parler de " monde unipolaire " quand on songe, par exemple, au poids que pèsera demain une Chine en pleine expansion économique ?
F. H. - La Chine n'a pas de projet global, mais seulement des ambitions régionales. Certes, elle joue un rôle croissant dans son environnement, mais il ne faut pas exagérer son importance. L'économie chinoise peut rivaliser avec celle du Japon, pas avec celle des États-Unis. Sur le plan militaire, la Chine reste un nain ! Et elle le demeurera encore longtemps. Par surcroît, elle affiche, vis-à-vis des États-Unis, un excédent commercial de l'ordre de 100 milliards de dollars - ce qui représente le quart du déficit commercial américain. La moindre mesure protectionniste prise par Washington aurait un effet dramatique sur l'économie chinoise. Et Pékin le sait pertinemment.
T. H. - Soucieux d'éradiquer la menace terroriste, les États-Unis sont très présents sur la scène internationale - et cela, quitte à agir sans le soutien de leurs alliés traditionnels. Pour reprendre l'une de vos expressions, s'ils ne se mettent pas " en congé du monde ", ils semblent en tout cas se mettre en congé de leurs partenaires...
F. H. - Nous assistons à l'heure actuelle à la fin des alliances permanentes. Lorsque Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz (3) ont affirmé : " C'est la mission qui fait la coalition ", ils décrivaient un état de fait. Ces deux responsables américains évoquaient les opérations qui allaient avoir lieu - sans la participation de l'Otan - en Afghanistan à partir d'octobre 2001. Mais cette observation …