
L’arrestation, le 19 mars dernier, d’Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et candidat désigné du Parti républicain du Peuple (CHP, kémaliste) à la prochaine élection présidentielle, prévue pour 2028, a mis le feu aux poudres en Turquie. Des centaines de milliers de personnes ont déferlé dans les rues, dans tout le pays, pour protester contre ce coup de force judiciaire du président Recep Tayyip Erdogan, qui exerce le pouvoir depuis 2003. Qui sont ces contestataires, que veulent-ils et quelles sont leurs chances de succès ? Éléments de réponse avec Marie Jégo, spécialiste reconnue de la politique turque.
Grégory Rayko — Ekrem Imamoglu a été arrêté pour « corruption ». Concrètement, quels sont les faits qui lui sont imputés ?
Marie Jégo — Officiellement, il est accusé de corruption passive, d’extorsion de fonds et de trucage des marchés publics, autrement dit d’avoir demandé de l’argent à des hommes d’affaires en échange de contrats avec la mairie d’Istanbul. On lui reproche aussi d’avoir fait preuve de népotisme : il aurait procuré des emplois, à la mairie d’Istanbul, à des gens qui avaient été ses collaborateurs à la mairie de Beylikdüzü, l’arrondissement de la ville dont il fut le maire avant de devenir, jusqu’en 2019, celui d’Istanbul. Cette dernière accusation est particulièrement grotesque quand on songe aux pratiques de l’AKP (Parti de la justice et du développement), le parti de Recep Tayyip Erdogan. Faut-il rappeler qu’Erdogan avait, en 2018, nommé son gendre ministre des Finances (1) alors que celui-ci n’avait aucune connaissance de l’économie ?
Pour le reste des incriminations retenues contre Imamoglu, il n’est pas impossible qu’il ait pu attribuer des marchés publics à des gens qu’il connaissait. Mais toute la Turquie fonctionne de cette manière ! Dans les mairies tenues par l’AKP, les marchés ne vont pas à des entreprises réputées proches du CHP. Au contraire, ils sont systématiquement confiés — parfois, sans la moindre mise en scène de compétition — à des entrepreneurs pro-AKP qui mettent la main au porte-monnaie pour financer les campagnes d’Erdogan. Les accusations visant Imamoglu sont donc pour le moins malvenues quand on sait comment fonctionne le parti du pouvoir…
G. R. — La veille de l’interpellation d’Imamoglu, il y avait eu un premier coup de semonce : son diplôme universitaire avait été annulé…
M. J. — Effectivement. Pour être candidat à la présidence de la République en Turquie, il faut avoir un diplôme universitaire. Dès lors, quand on a appris que le diplôme de l’université d’Istanbul qu’Imamoglu avait obtenu en 1994 était annulé, on a compris que l’étau se resserrait. Mais, en réalité, cela faisait un certain temps que le pouvoir se préparait à le faire tomber. Il avait été autrefois condamné pour injures publiques simplement parce qu’il avait tenu des propos désobligeants à l’égard de certains fonctionnaires de la commission électorale. Là encore, quand on se souvient de la façon dont s’exprime Erdogan à propos de ses adversaires politiques ou de certains dignitaires étrangers, on rit jaune… Quoi qu’il en soit, le dispositif visant à empêcher Imamoglu de se présenter à la prochaine présidentielle était déjà en place. Première étape : on annule son diplôme. Deuxième étape : on l’arrête. Et ensuite on l’inculpe, sachant qu’il va très probablement être condamné et aller en prison.
G. R. — Pourquoi le pouvoir est-il passé à l’action le 19 mars, pas avant et pas après ?
M. J. — Peut-être parce que le parti d’Imamoglu, le CHP, s’apprêtait à organiser une primaire afin de désigner son candidat à la présidentielle. Le suspense était limité dans la mesure où Imamoglu était seul en lice, mais une forte participation aurait pu être un atout en …
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