Les Grands de ce monde s'expriment dans

Mon combat pour la liberté

Interview exclusive du prix Nobel de la paix 2025
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Catalina Marchant de Abreu et Patrick Wajsman — Votre « Manifeste de la Liberté » s’inscrit dans une longue trajectoire personnelle. Quel moment fondateur a façonné votre conception de la liberté politique ?

Maria Corina Machado — Plus qu’un événement précis, c’est l’ensemble de mon parcours qui m’a permis d’apprendre le sens profond de la liberté. Comme tous les Vénézuéliens de ma génération, je suis née dans la démocratie. Nous en jouissions sans pleinement mesurer qu’elle pouvait disparaître.

Tout a changé lorsque Hugo Chávez, un militaire putschiste, a été élu président et s’est mis à démanteler les institutions démocratiques. J’ai alors compris ce que signifie perdre la liberté. Ce basculement a bouleversé nos projets de vie et nous a contraints à tout donner pour reconquérir et défendre ce bien essentiel.

C. M. de A. et P. W. — Dans votre Manifeste, vous insistez sur la dignité individuelle. Pourquoi cet axe moral est-il central pour comprendre la crise vénézuélienne ?

M. C. M. — D’abord, parce qu’on ne peut pas parler de liberté individuelle ou collective si l’on ne reconnaît pas, en chaque être humain, cette dignité intrinsèque qui en fait un être rationnel, moral, unique et irremplaçable. Sans cette égalité naturelle, aucune égalité authentique n’est possible.

Ensuite, parce que la crise dans laquelle le chavisme nous a plongés a profondément blessé notre amour-propre et notre identité nationale. On ne peut résister à une catastrophe comme celle-ci qu’en puisant dans cette dignité, cette profonde estime de soi, cet amour pour ce qui nous appartient. C’est pourquoi les Vénézuéliens se détournent des promesses électorales qui ne font miroiter que des avantages matériels, et sont de plus en plus séduits par les discours axés sur le rétablissement de la dignité.

C. M. de A. et P. W. — À quelle occasion avez-vous décidé d’entrer en politique ? Quand avez-vous senti qu’il vous revenait d’assumer une part du destin du Venezuela ?

M. C. M. — Lorsque j’ai vu mon pays tomber aux mains de putschistes, de prêcheurs de haine, animés par la volonté de détruire notre histoire et nos institutions. Au début, j’ai pensé que ma place était dans le combat pour la transparence électorale : ingénieure de formation, je me sentais utile dans ce rôle qui me permettait de mettre à profit mes compétences techniques. Mais très vite, j’ai compris qu’il fallait aller plus loin, et je me suis lancée dans une carrière politique à part entière. Je regrette parfois de ne pas l’avoir fait plus tôt.

C. M. de A. et P. W. — Quelles sont les personnalités dont la réflexion et/ou l’action vous ont le plus inspirée ?

M. C. M. — Il y en a beaucoup : les pères fondateurs de notre république libérale et indépendante ; des dirigeants comme Havel, Walesa, Churchill, Thatcher, Golda Meir, ou Rómulo Betancourt au Venezuela ; et, bien sûr, des hommes et des femmes extraordinaires de ma famille.

Mais la grande référence de ma vie reste mon père. Un homme visionnaire, intègre, généreux et sage, qui m’a transmis un …