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Russie : vers une nouvelle glaciation

Les résultats de la dernière élection présidentielle en Russie étaient globalement prévisibles, mais certains détails se sont révélés plutôt étonnants. On s'attendait à ce que Vladimir Poutine obtienne entre 65 et 70 % des suffrages ; son score fut plus élevé : 76,69 % exactement. Plus de 56 millions de personnes se sont exprimées en faveur du président sortant. On s'attendait, également, à des résultats « honorables » pour les deux représentants du camp des démocrates, Ksenia Sobtchak et Grigori Iavlinski, ce vieux routier de la politique russe, jadis bien plus populaire (1). Or ils n'ont récolté, à eux deux, que 2,73 % des voix, soit à peine plus de 2 millions d'électeurs. On peut ajouter à leur maigre total celui glané par Boris Titov, un homme d'affaires qui se targue de représenter les PME écrasées par le régime Poutine et dont le programme ne proposait pratiquement que des mesures économiques, d'ailleurs tout à fait louables comme le passage au tout-numérique accéléré, un soutien affirmé aux petites entreprises, la baisse des impôts, etc. Mais cette offre, elle non plus, n'a pas attiré beaucoup d'électeurs : 0,76 %.
L'image s'assombrit encore si l'on ajoute aux voix de Poutine celles des autres candidats « patriotes » : le représentant officiel du Parti communiste Pavel Groudinine, l'ultra-nationaliste Vladimir Jirinovski, le communiste indépendant Maxime Souraïkine et le nostalgique de l'Union soviétique Sergueï Babourine. Au total, ce camp a séduit 70 millions de citoyens, contre moins de 3 millions pour le camp adverse.
Le poids écrasant des nationalistes et des patriotes est tel que ce scrutin - qui a été marqué par plusieurs irrégularités (2) - n'a pas provoqué de vague d'indignation, ce qui avait été le cas après les législatives de 2011 et la présidentielle de 2012. Comme si la lassitude et le fatalisme s'étaient emparés de la partie de l'électorat, peu significative statistiquement, qui soutient les valeurs démocratiques...
Comment la Russie en est-elle arrivée là ? Pour le comprendre, il faut revenir en arrière et analyser le cheminement de la société russe de la perestroïka à nos jours.


Les doutes existentiels de l'époque Gorbatchev-Eltsine


Mikhaïl Gorbatchev était le dernier communiste-idéaliste au sein de l'élite gouvernante soviétique. Il espérait qu'en ouvrant les vannes de la glasnost il permettrait aux citoyens de critiquer librement les défauts, les abus et les lacunes de l'industrie, de l'agriculture, de l'administration, et qu'un tel processus assainirait l'atmosphère et inciterait les gens à travailler mieux. Lui, il voulait que l'économie se modernise et devienne rentable ! Or la libération de la parole produisit surtout un flot de documents et de Mémoires portant sur les crimes du système communiste, ainsi que des pamphlets, des essais et des textes historiques qui nourrirent les revendications nationales des divers peuples de l'empire soviétique. La boîte de Pandore s'ouvrit en un clin d'oeil et il ne fut plus possible de la refermer.
L'effet de la glasnost fut dévastateur pour le moral des citoyens. Il leur est apparu, en l'espace de deux ou trois ans, que …