« Notre francophonie n’est ni une tour ni une cathédrale. Elle s’enfonce dans la chair ardente de notre temps et ses exigences » (1). Au moment où le poète-président sénégalais Léopold Sédar Senghor prononce ces mots, en 1985, la francophonie institutionnelle, créée par le traité de Niamey du 20 mars 1970 sous la forme d’une agence de coopération culturelle et technique (ACCT), a quinze ans d’existence à peine. Ces propos, à eux seuls, disent la clairvoyance de ceux qui avec lui — le Nigérien Hamani Diori, le Tunisien Habib Bourguiba, le Cambodgien Norodom Sihanouk — ont eu le courage politique d’affirmer, au lendemain des indépendances, que la langue française, « trouvée dans les décombres de la colonisation », constituait « un outil merveilleux ».
Il leur a fallu briser bien des réserves et bien des résistances, au sud comme au nord, pour faire triompher l’idée que cette langue en partage pouvait devenir un puissant vecteur de dialogue, d’émancipation et d’ouverture au monde, un irremplaçable trait d’union pour agir, mais aussi le fondement et le ciment d’une communauté fraternelle et solidaire, unie dans le respect de toutes ses diversités, et pensée comme une « manière de poser les problèmes et d’en chercher les solutions (...), toujours par référence à l’homme ».
Un projet éminemment politique
La dimension éminemment politique de ce projet de civilisation, tendu vers l’émergence d’un humanisme intégral et universel, était déjà là, dès les origines. Et les étapes franchies depuis lors ont toujours eu pour vocation de servir sa réalisation, à commencer par la première réunion au sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, organisée à Versailles, en 1986. Le IIIe sommet, à Dakar en 1989, voit pour la première fois l’adoption d’une résolution sur les droits fondamentaux. Ce sera, huit ans plus tard, en 1997, lors du VIIe sommet à Hanoï, l’élection du premier secrétaire général de la francophonie, l’ancien secrétaire général des Nations unies, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali. À cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement adoptent la « charte de la francophonie » et inscrivent la prévention des conflits ainsi que l’économie et le développement au cœur des programmes. L’année 1998 marque la naissance de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Une étape décisive est franchie en 2000 avec l’adoption d’un texte normatif et de référence, la déclaration de Bamako, sur la pratique de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Elle sera complétée et renforcée, en 2006, par la déclaration de Saint-Boniface sur la prévention des conflits et la sécurité humaine.
La francophonie, originellement cantonnée à une coopération culturelle et technique, non contraignante, s’est donc dotée, à travers ces transformations successives, d’un projet politique exigeant, fondé sur l’acceptation et le partage, par tous ses États et gouvernements membres, d’un certain nombre de principes et de valeurs. Dans le même temps, l’OIFn’a jamais cessé d’accompagner ses pays membres dans la tourmente, avec la conscience que démocratie, paix et développement sont indissociables.
Cette affirmation revendiquée de la dimension politique et diplomatique de la francophonie se veut résolument préventive. Or penser en termes de prévention suppose une approche d’abord structurelle, inscrite dans le long terme. L’OIF a su pour cela développer des actions multiformes en faveur de l’enracinement de la culture de la démocratie, de la consolidation des institutions de l’État de droit, de la promotion des droits et des libertés.
J’ai, par exemple, depuis ma prise de fonctions en janvier 2015, connu un nombre record d’élections dans l’espace francophone, principalement en Afrique. L'OIF aura ainsi, en trois ans, à la demande des autorités d’une trentaine de pays, déployé plus d’une centaine de missions d’appui technique, politique et d’accompagnement de processus électoraux, dans des circonstances souvent de grandes et violentes tensions.
Une cinquantaine d’autres missions de facilitation (au Cameroun, en République centrafricaine, en république du Congo, au Gabon, en Guinée-Bissau, en république démocratique du Congo, à Madagascar, au Niger, en Haïti...) ont été engagées, toujours par souci de prévention de crises et de conflits, d’apaisement des contextes socio-politiques, de restauration de la confiance et d’ouverture d’espaces de dialogue et de réconciliation entre acteurs politiques.
C’est aussi dans ce cadre que prennent place nos actions, bien adossées aux expertises de nos 16 réseaux institutionnels qui regroupent 600 organismes et institutions membres dans plus de 60 pays, notamment en faveur du renforcement des capacités des praticiens du droit — en particulier les magistrats et les avocats —, des institutions nationales de défense des droits et des libertés, de la protection des journalistes et de la liberté d’expression dans des médias francophones lancés sur la voie de l’innovation, sans oublier notre soutien aux États engagés dans l’examen périodique universel.
La Francophonie, acteur des relations internationales
Du fait de ses spécificités et de son expertise qui sont autant d’avantages comparatifs, l’OIF s’impose comme un acteur incontournable des relations internationales, tant pour les responsables nationaux que pour ses partenaires internationaux : l’ONU et ses agences spécialisées, l’Union européenne, l’Union africaine, les pays ACP (Asie, Caraïbes, Pacifique), le Commonwealth, le secrétariat général ibéro-américain, la communauté des pays de langue portugaise, la commission de l’océan Indien...
L'OIF prend une part toujours plus active à la mission universelle de construction de la paix et de la sécurité, non seulement parce que près de la moitié des opérations de maintien de la paix (OMP) déployées par les Nations unies le sont dans des pays membres de l’OIF, mais aussi parce que les destins des nations sont aujourd’hui étroitement et irrémédiablement liés.
La collaboration entre l’OIF et les Nations unies s’est encore approfondie au cours des quatre dernières années, avec trois objectifs : accroître la participation de contingents francophones aux OMP tout en développant les capacités linguistiques des troupes non francophones ; favoriser les candidatures de policiers et d’experts civils francophones ; et renforcer la présence des femmes qui, pour l’heure, ne comptent que pour 3 % dans ces missions de paix.
Notre implication s’est traduite, également, par la création en 2017 de l’observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix voué à renforcer le dialogue entre les États francophones contributeurs aux OMP, le Conseil de sécurité et le secrétariat des Nations unies.
C’est aussi cette volonté permanente de la francophonie de « s’enfoncer dans la chair ardente de notre temps et ses exigences », au nom des valeurs qui la guident, qui nous a conduits à accompagner nos pays membres les plus touchés par ces menaces transnationales que sont le terrorisme, la criminalité organisée et toutes sortes de trafics qui favorisent la corruption, fragilisent l’État de droit et minent les structures économiques.
À la suite de la « conférence internationale sur la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation violente », organisée par l’OIF à paris en juin 2016, nous en sommes venus à soutenir l’action des acteurs francophones investis dans la lutte contre le terrorisme.
À cet égard, on peut citer, dans le cadre de notre partenariat avec le G5 sahel — Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Tchad —, notre contribution au renforcement et à la mise en réseau des centres stratégiques de veille, d’analyse et de renseignement récemment créés dans ces cinq États membres. Nous contribuons également au développement d’outils d’analyse préventive et de prospection destinés à permettre aux autorités nationales et au secrétariat permanent du G5 sahel d’optimiser leurs capacités d’anticipation des menaces terroristes et des risques de radicalisation violente.
Ce sont encore les « exigences de notre temps » qui ont conduit l’OIF à s’associer avec l’ONU-sida, la fondation Jacques Chirac et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour organiser en mai 2018, à genève, une conférence internationale sur l’accès aux médicaments et aux produits médicaux de qualité en afrique.
Le trafic de médicaments et de produits médicaux dangereux, de mauvaise qualité, falsifiés ou contrefaits destinés aux plus démunis cause chaque année la mort de 800 000 personnes en afrique, dont des enfants. Ce trafic crapuleux porte atteinte à la sécurité des personnes et des biens. Pour lutter contre cette économie souterraine frauduleuse qui constitue une véritable manne financière pour le crime organisé et les organisations terroristes, un plan d’action collectif et stratégique sera soumis à l’approbation des chefs d’État et de gouvernement lors du sommet d’Erevan.
C’est aussi pour répondre aux exigences de notre temps en matière de sécurité humaine et de responsabilité de protéger les populations en danger que nous avons voulu largement rassembler, à Ottawa, en mai 2018, lors de la conférence internationale que nous avons consacrée à la déclaration de Saint-Boniface, douze ans après son adoption. Notre objectif était de susciter, dans l’espace francophone et dans le monde, un regain de mobilisation en faveur de la prévention et du règlement des crises et des conflits, et d’identifier des mesures novatrices dans un contexte géostratégique qui ne cesse de se renouveler.
Au service du développement
Au rang des exigences de notre temps, celle aussi de l’insertion harmonieuse de nos pays les plus fragiles dans l’économie mondiale. Et il y a urgence.
Les inégalités se creusent toujours plus, le chômage des jeunes a atteint un taux record, sans compter les effets dévastateurs des changements climatiques, notamment dans les petits États insulaires en développement. Comment s’étonner, dans ces conditions, que plus d’un million de réfugiés et de migrants aient affronté, rien qu’en 2015, la mer Méditerranée pour tenter de rejoindre l’europe au péril de leur vie, et que nous ayons franchi, cette même année, pour la première fois de l’histoire des Nations unies, le cap des 65 millions de déplacés forcés ?
Ne sous-estimons pas, non plus, le désenchantement de ces jeunes, hommes et femmes, sans perspectives d’avenir, leur sentiment d’impasse, jusqu’au désespoir, jusqu’à se laisser prendre parfois dans les filets des organisations criminelles et se laisser séduire par le chant des sirènes de la radicalisation violente.
Pour avoir trop tardé, la communauté internationale est aujourd’hui dans l’obligation de tout mener de front, d’agir autant sur les causes profondes de ces mouvements migratoires que sur leurs manifestations tragiques. Nous le savons, nous de la francophonie, qui regroupons des pays de départ, de transit, de destination et d’accueil. Il arrive même que certains de nos pays soient tout cela à la fois.
Si les chefs d’État et de gouvernement ont voulu que l’économie et l’innovation fassent plus résolument irruption dans notre organisation en la dotant, en 2012, d’une stratégie numérique et, en 2014, d’une stratégie économique et d’une stratégie jeunesse, c’est parce que nous avons conscience que le temps presse. La réduction des fractures économiques, la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique nécessitent une mobilisation sans précédent de toutes les organisations, de tous les pays, de tous les acteurs et une inclusion de toutes les forces vives, au premier rang desquelles les femmes (en 2050, elles seront 350 millions dans l’espace francophone) et les jeunes qui, dans nombre de nos pays, représentent déjà plus de 60 % de la population.
Il faut investir massivement dans ce capital humain, briser le cycle du chômage chronique des jeunes, faire sauter les verrous qui cadenassent l’autonomisation économique des femmes.
J’en ai fait l’une des priorités de mon mandat. Dans 13 pays d’afrique subsaharienne et de l’océan Indien, nous avons mis le pied à l’étrier à des milliers de femmes et de jeunes. Nous avons favorisé la création de dispositifs d’accompagnement, d’espaces collaboratifs, d’incubateurs, d’accélérateurs de très petites, petites et moyennes entreprises et industries dans des filières ciblées et innovantes comme l’économie bleue et l’économie verte, mais aussi l’économie de la culture, l’économie numérique, l’économie sociale et solidaire.
L’état des lieux ayant été minutieusement réalisé, les premiers résultats sont déjà là : nous avons en deux ans renforcé les capacités de plus de 13 000 femmes et jeunes entrepreneurs qui ont su générer à leur tour des dizaines de milliers d’emplois, impulser des chaînes de valeurs ; nous aurons réussi à consolider une quarantaine de structures d’accompagnement à l’entrepreneuriat innovant, encouragé le réseautage et les échanges de bonnes pratiques dans l’espace francophone. dernier réseau en date : la plateforme d’interface — parfaitement opérationnelle, innovante, inclusive et performante — des femmes entrepreneuses créée à l’issue de la deuxième conférence des femmes de la francophonie qui s’est tenue en novembre 2017, à Bucarest, dix-sept ans après sa première édition au Luxembourg.
Cela étant, rien ne peut remplacer la possibilité pour ces acteurs économiques de se rencontrer. il est donc urgent d’en finir avec tous les blocages, les préjugés ou les amalgames qui, au XXIe siècle encore, entravent la libre circulation de ces jeunes, ces femmes et ces hommes d’affaires, créateurs, étudiantes et étudiants, chercheurs ou sportifs du Sud. C’est une réelle injustice qui nous dessert tous et génère un inacceptable déficit.
Nous ciblons aussi, et il le faut, les femmes en milieu rural, le plus souvent engagées dans des activités d’artisanat, de transformation céréalière, de production maraîchère ou d’aviculture. Nous les aidons à mener à bien leurs projets, à les développer sur des standards de qualité et à trouver des marchés en accédant à des financements adaptés.
Dans un secteur bien différent, celui combien crucial du numérique, nous proposons mentorat, identification de besoins et d’options adaptées, formation technique et technologique ciblée, pour que se concrétise la volonté d’entreprendre d’une jeunesse francophone qui déjà innove partout, dans les domaines les plus variés.
Ces actions, nous choisissons de les mener de manière intégrée et en co-construction avec les secteurs publics et privés, la société civile, les femmes et les jeunes eux-mêmes, tous faisant partie de la solution.
Nous nous sommes résolument attachés à inclure la jeunesse dans tous nos programmes et jusque dans nos instances politiques. Tel qu’initié au sommet d’Antananarivo en 2016, des jeunes, hommes et femmes, en solide délégation, issus de tout l’espace francophone, seront appelés, cette fois encore, à participer aux instances du sommet des chefs d’État et de gouvernement d’Erevan.
C’est toujours ce souci de transversalité qui imprégnera la stratégie pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes que nous présenterons lors de ce même sommet.
Mais tout ne se joue pas à l’échelle nationale, ni même sous-régionale ou régionale. C’est pourquoi l’oif déploie une véritable diplomatie économique et commerciale au niveau international.
Un instrument de diplomatie économique et commerciale avec, dans ses rangs, près de la moitié des États membres de l’ONU, l’OIF s’impose désormais comme une véritable force de coalition et de proposition dans les grandes négociations internationales.
À travers son Institut de la francophonie pour le développement durable (IFDD), l’OIF s’est par exemple fortement impliquée dans l’adoption, en 2015, des objectifs de développement durable (ODD) en organisant une trentaine de plaidoyers et de concertations de haut niveau. Il en a été de même pour l’accord de Paris sur le climat. L'IFDD forme, depuis le sommet de la Terre en 1992, des négociateurs et des négociatrices francophones mobilisés pour chacune des conférences sur le climat. Il organise en amont des ateliers conçus pour les pays du Sud aux mêmes standards que ceux du Nord.
L'OIF soutient ainsi la pleine participation des pays francophones aux processus de négociation sur le climat, la biodiversité et la désertification à travers le développement des capacités des acteurs impliqués, aussi bien au stade de la négociation que de la mise en œuvre.
Nous mettons également en réseau les ministres francophones des Finances, du Commerce et de l’Industrie que nous réunissons lors des assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ou des conférences ministérielles de l’Organisation mondiale du commerce.
Sera également lancé à Eevan, à l’initiative du Bénin, un réseau des ministres francophones en charge des économies numériques.
De la même façon, nous rassemblons les ministres de la Culture. Nous nous appuyons depuis des années sur un réseau des ministres francophones de la Jeunesse et des Sports (CONFEJES) et sur un réseau des ministres de l’Éducation (CONFEMEN). Il y a urgence, parce qu’il n’y a pas de développement et d’émergence possibles sans un accès à une éducation de qualité tout au long de la vie, à un apprentissage de la citoyenneté, à une formation professionnelle, technique et technologique adaptée aux réalités socio-économiques de nos pays.
Là encore, la francophonie qui a une longue tradition en matière de coopération éducative, a franchi une étape déterminante avec la mise en place, en octobre 2017, à Dakar, de l’Institut de la francophonie pour l’éducation et la formation (IFEF) qui rassemble tout ce qui se pense, se produit, s’accomplit dans l’espace francophone en matière d’éducation, de formation et d’innovation. Il a pour mandat d’accompagner les pays dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de programmes novateurs dans ces domaines afin de tendre vers l’excellence. L'IFEF a en outre vocation à mettre en œuvre un dispositif d’enseignement massif du français et en français, dont l’objectif principal est la formation de plus de 100 000 professeurs et cadres.
Dans ce domaine aussi nous savons faire. Nous avons déjà à notre actif le succès de l’initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) qui utilise le numérique pour diffuser de nouvelles approches pédagogiques plus performantes, et le programme elan (École et langues nationales), qui favorise les premiers apprentissages dans la langue maternelle de l’enfant avant de passer à la langue française.
La Francophonie de demain
Alors, en s’enfonçant, comme elle le fait, « dans la chair ardente de notre temps et ses exigences », en élargissant ses missions, en s’érigeant en force de rassemblement et de proposition, en s’ouvrant à toujours plus de pays — 84 États et gouvernements lors du sommet d’Antananarivo en 2017 contre 21 en 1970 —, qui n’ont pas tous la langue française comme langue maternelle ou officielle, la francophonie est-elle en train de perdre son âme ?
À celles et à ceux qui le pensent, j’ai envie de dire que la francophonie de 2018, dans sa volonté d’humaniser la mondialisation, n’a jamais été autant en phase avec l’esprit du projet de ses pères fondateurs. Nous avons plus que jamais besoin de solidarité et de fraternité, parce que la mondialisation des défis et des menaces appelle la mondialisation des solutions et de l’engagement. Nous avons plus que jamais besoin de conjuguer harmonieusement diversité et universalité. Nous avons plus que jamais besoin de nous mobiliser sur tous les fronts, parce que la francophonie irait à l’encontre de ses valeurs, de ses principes et de son idéal si elle acceptait de « se croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur », comme écrivait Aimé Césaire. « Car la vie, poursuivait-il, n’est pas un spectacle, car une mer de douleur n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse » (2). Une organisation, à l’instar d’une civilisation, qui choisit de fermer les yeux sur ses problèmes les plus cruciaux est une organisation atteinte.
À tous les nostalgiques d’une francophonie exclusivement tournée vers la promotion de la langue et de la culture — ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais été — je veux dire que la francophonie de 2018 est un hymne quotidien à la langue française et à la diversité linguistique. À travers toutes nos actions, tous nos programmes, nous démontrons que la langue française reste — nous l’affirmons fièrement et sans complexes — une grande langue d’intégration et de communication internationale, une langue de création et d’innovation, une langue de l’économie, des sciences et de la société de l’information, une langue juridique, d’enseignement, de partage des connaissances et de recherche. Une langue qui n’est jamais plus belle que lorsqu’elle est fécondée et enrichie par les accents, les imaginaires, les idiomes et la créativité de toutes celles et de tous ceux qui font le choix de l’adopter et de se l’approprier. Le fait que la langue française puisse, dans l’espace francophone, s’épanouir dans un foisonnement d’autres langues — plus du quart des 6 000 langues encore parlées dans le monde le sont dans les pays de la francophonie — est pour nous un gage de vitalité, et nous nous attachons à soutenir ces langues.
La francophonie de 2018 est aussi un hymne quotidien à la diversité culturelle. Au sein de notre espace, bien sûr, où la langue française est imbriquée dans une formidable mosaïque de cultures que nous nous employons à valoriser, à faire se rencontrer, à se mieux connaître et à se féconder mutuellement. Pour cela, nous soutenons la production audiovisuelle, la promotion des littératures, le développement de la lecture publique, la circulation des artistes ; nous accompagnons nos pays membres dans la production et la diffusion de leurs expressions culturelles et dans le développement de leurs industries culturelles à l’heure du numérique. Mais nous agissons aussi à l’échelle internationale où l’OIF a joué un rôle déterminant dans l’élaboration, l’adoption en 2005 puis la mise en œuvre de la convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Nous nous mobilisons avec d’autant plus de vigueur en faveur de la préservation et de l’épanouissement de la diversité culturelle que ce droit à la différence est devenu, pour certains, prétexte à remettre en cause, au nom de particularismes confessionnels ou culturels, l’universalité de ces valeurs et de ces principes qui honorent la famille humaine depuis 1948, date de l’adoption de la déclaration universelle des droits de l’homme qui fête cette année son soixante-dixième anniversaire.
La francophonie s’inscrit et s’inscrira toujours en faux contre ce relativisme culturel, parce que ce qui nous définit, par-delà la diversité de nos cultures, de nos traits de civilisation et de nos religions, c’est aussi le partage de valeurs universelles.
Mais, pour nous, de la francophonie, la culture ne se réduit pas à ses œuvres et à ses productions. Elle est aussi l’expression de choix politiques, économiques et sociaux. Et nous avons un impérieux besoin de cette diversité d’approches et de points de vue.
C’est bien cette conviction qui nous conduit à nous mobiliser pour que le droit fondamental de s’exprimer, de s’informer, de travailler, de négocier dans la langue de son choix, dans la langue que l’on maîtrise le mieux, soit respecté dans les organisations internationales. Il ne viendrait à l’idée de personne de nier que démocratie nationale et parti unique sont incompatibles. Alors comment prétendre que la démocratie internationale peut s’instaurer sur la base de l’usage d’une langue unique?
Nous restons, comme le proclamait mon prédécesseur, l’ancien président de la république du Sénégal, Abdou Diouf, des « indignés linguistiques », mais nous ne sommes et ne serons jamais en guerre contre aucune langue, parce que ce que nous revendiquons, c’est le respect du plurilinguisme.
C’est cette francophonie intégrale, qui « s’enfonce dans la chair ardente de notre temps et ses exigences » au nom des principes et des valeurs qui sont, tout à la fois, sa raison d’être et d’agir, qui se présentera avec fierté au sommet d’Erevan. Une francophonie portée au quotidien par des équipes d’hommes et de femmes convaincus et engagés, qui œuvrent dans toute une palette de compétences et d’expertises au sein de l’OIF, mais aussi de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) et de son réseau de 83 parlements, de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) et de son réseau de 845 établissements d’enseignement supérieur, de l’Université Senghor d’Alexandrie et de ses campus décentralisés en Afrique, de l’association internationale des maires francophones et de son réseau de 293 villes, de TV5 Monde (3e réseau de distribution au monde qui diffuse ses programmes en français dans 197 pays) et de la conférence des organisations internationales non gouvernementales.
Toutes et tous, nous nous réjouissons de célébrer cette francophonie en Arménie,à Erevan, à l’occasion du XVIIe sommet des chefs d’État et de gouvernement.
(1) Extrait du discours prononcé par le président Léopold Sédar Senghor lors de sa visite au siège de l’Agence intergouvernementale de la francophonie, à Paris, le 19 septembre 1985.
(2) Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Bordas, 1947.