Politique Internationale — Monsieur le Premier ministre, en matière de politique internationale, l’un des premiers défis que devra relever le nouveau gouvernement que vous dirigez sera l’organisation du XVIIe Sommet de la Francophonie qui doit avoir lieu à Erevan les 11 et 12 octobre prochains. Comment appréhendez-vous ce rendez-vous ?
Nikol Pachinian — L’Arménie est honorée par la confiance que lui ont témoignée les chefs d’État et de gouvernement de la francophonie en lui confiant l’organisation de ce XVIIe Sommet. Nous mesurons la responsabilité qui nous incombe, et je peux vous assurer que mon gouvernement — et, derrière lui, le pays dans son ensemble — est entièrement mobilisé pour assurer le plein succès de cet événement. Nous nous réjouissons d’accueillir les milliers de participants qui feront le déplacement dans la meilleure tradition de l’hospitalité arménienne. Et nous n’oublions pas, non plus, que la tenue de ce Sommet à Erevan contribuera au rayonnement de la francophonie dans cette région du monde.
P. I. — En quoi est-ce si important pour l’Arménie ?
N. P. — Pendant toute la durée de ce Sommet, l’Arménie va devenir l’un des centres de l’activité diplomatique internationale. La présence à Erevan des délégations de 84 pays membres et observateurs de la francophonie, de plusieurs dizaines de chefs d’État et de gouvernement, de responsables d’organisations internationales et régionales, donnera à cet événement une ampleur et une portée inégalées depuis l’indépendance de l’Arménie en 1991. Cette conférence va également concentrer l’attention des médias du monde entier, avec la venue de plusieurs centaines de journalistes.
J’éprouve un sentiment de fierté pour notre pays qui, après avoir montré les vertus de sa « révolution de velours », trouve aujourd’hui une nouvelle consécration en accueillant cette grande conférence internationale.
P. I. — Quels sont les liens entre l’Arménie et la Francophonie ? Et comment envisagez-vous l’avenir de ces relations ?
N. P. — Devant les députés qui examinaient ma candidature au poste de premier ministre, j’ai insisté sur l’importance que j’attachais à l’organisation, dans les meilleures conditions, de ce Sommet de la francophonie. J’ai pu vérifier, à cette occasion, à quel point les forces politiques arméniennes étaient à l’unisson sur cette question.
Les racines francophones de l’Arménie plongent, en effet, dans un passé très ancien : dès le XIIIe siècle, du fait des alliances entre les noblesses de nos deux pays, la langue française côtoyait la langue arménienne en tant que langue de communication du royaume arménien de Cilicie. Cette page de l’histoire est le reflet de l’ancienneté des relations qui unissent l’Arménie et la France. Ces relations, marquées au sceau de l’excellence, se sont nourries des liens intellectuels, culturels, artistiques et commerciaux qui se sont tissés à travers le temps. Elles reposent aujourd’hui sur une coopération bilatérale exemplaire qui n’a cessé de se renforcer depuis l’accession de l’Arménie à l’indépendance. Je voudrais souligner ici le rôle de la communauté arménienne installée en france, qui est parfaitement intégrée dans la société française et qui contribue grandement au rapprochement entre nos deux pays.
Tous ces éléments permettent de mieux comprendre la francophilie qui irrigue la société arménienne. L’attachement à la culture et à la langue françaises, aux valeurs de paix, de démocratie, de respect des droits de l’homme et de diversité culturelle : tel est le socle sur lequel s’est fondée l’intégration de notre pays au sein de la francophonie. J’ajouterai que de nombreuses dispositions ont été prises, ces dernières années, pour accroître la place du français dans notre système éducatif.
P. I. — Les récents événements politiques ont-ils eu un impact sur l’engagement de l’Arménie en faveur de la Francophonie ?
N. P. — La force du mouvement civique, son caractère profondément démocratique et pacifique, son attachement à l’état de droit, n’ont fait que confirmer l’ancrage des valeurs de paix, de démocratie et de tolérance dans notre pays. Comme vous le savez, les jeunes et les femmes ont joué un rôle moteur dans ce processus de transformation, confortant en cela la vision de la francophonie qui mise sur le potentiel de créativité de cette partie de la population.
L'Arménie est devenue aujourd’hui l’un des membres les plus dynamiques de la francophonie. Au cours des années qui ont suivi son adhésion en 2008, elle a su démontrer, par son implication dans les activités de l’organisation et par sa participation active aux travaux des instances, la force de son engagement francophone.
Nous entendons, à l’avenir, poursuivre sur cette voie avec la même détermination et contribuer, durant notre présidence du Sommet, à consolider la place de la francophonie en tant qu’acteur des relations internationales.
L’appartenance de l’Arménie à l’Organisation internationale de la francophonie lui a permis non seulement d’élargir le champ de sa coopération avec la France, mais aussi d’approfondir ses relations d’amitié déjà existantes avec certains États membres comme la Belgique, le Canada, l’Égypte, la Grèce, le Liban ou encore la Suisse.
La francophonie représente, pour l’Arménie, un vaste espace de coopération, de dialogue et d’échanges doté d’immenses potentialités. C’est un moyen, pour nous, de nouer des relations avec tous les pays membres, notamment les pays de l’Afrique francophone.
P. I. — En tant que pays hôte du Sommet, quelles sont les priorités de l’Arménie et quels sont les enjeux ?
N. P. — Dans un environnement international marqué par la persistance des phénomènes d’intolérance et de discrimination, la propagation des discours de haine et la montée de l’extrémisme, nous avons fait le choix de concentrer les travaux du Sommet sur la thématique du « vivre ensemble ». Notre ambition est de conforter la cohésion de l’espace francophone autour de ses valeurs fondamentales et du principe de solidarité.
Face au défi de l’extrémisme, ce Sommet doit permettre d’enraciner nos valeurs dans l’espace francophone. Ne trouvez- vous pas qu’il est essentiel de délivrer aux populations francophones et au monde entier ce message fort de la francophonie en faveur du « vivre ensemble » ? C’est un message porteur d’un avenir meilleur qui prend pleinement en compte les aspirations de chacun au développement, à un emploi décent, à une éducation et à une médecine de qualité, à la préservation de l’environnement... nous espérons, à cet égard, qu’un document de référence — un appel francophone pour le « vivre ensemble » — pourra être adopté lors de ce Sommet.
Nous avons également souhaité mettre l’accent sur la prévention des génocides et des crimes contre l’humanité, et sur la lutte contre leur négation. Ces questions exigent une action internationale résolue dans laquelle l’Arménie est particulièrement impliquée.
Ces grands rendez-vous sont l’occasion de partager une vision commune sur des sujets majeurs de l’actualité internationale. J’en citerai quelques-uns : la lutte contre les changements climatiques, que je viens d’évoquer, et, plus particulièrement, la mise en œuvre de l’accord de Paris ; la mobilisation internationale contre le terrorisme et la violence extrémiste ; ou encore la réaffirmation de notre attachement au multilatéralisme. Cette idée, si chère à la francophonie, commande l’action collective des états au sein des organisations internationales comme moyen le plus efficace pour régler les différends.
Le Sommet s’intéressera particulièrement aux situations de crise et de conflits qui affectent l’espace francophone et dans lesquelles la francophonie déploie ses efforts de médiation, en coopération avec ses partenaires régionaux et internationaux. Nous attendons que les chefs d’État et de gouvernement des pays de la francophonie réitèrent leur engagement en faveur du règlement pacifique de ces crises, dans le cadre des formats de négociation internationalement reconnus.
Nous espérons aussi que la place des jeunes et des femmes au sein de notre organisation sera renforcée. Nous veillerons, pour notre part, à ce que les représentants de la jeunesse francophone puissent être associés à notre Conférence. L’adoption, lors du Sommet d’Erevan, de la Stratégie de la francophonie pour la promotion de l’égalité femme/homme devrait, par ailleurs, marquer un tournant important dans l’approche de cette question.
P. I. — Et la dimension économique de la Francophonie ?
N. P. — Nous n’oublions pas cet aspect du dossier. C’est même, précisément, l’objectif que nous poursuivons en organisant, en marge du Sommet, le forum économique francophone qui réunira les représentants des milieux d’affaires et du patronat des différents pays participants. L’accent sera mis sur le numérique et les hautes technologies : un réseau francophone des ministres chargés du numérique sera officiellement lancé, dans lequel l’Arménie entend prendre toute sa place. notre pays a des atouts particuliers à faire valoir dans ce domaine : le Centre Tumo pour les technologies créatives (1), basé à Erevan, a fait des émules dans un certain nombre de capitales francophones. des écoles informatiques créées sur ce modèle ouvriront bientôt leurs portes à Paris, à Tirana et à Beyrouth, avant d’essaimer dans d’autres pays de l’espace francophone.
P. I. — Ce Sommet sera aussi un moment de fête et de convivialité...
N. P. — Bien évidemment, vous avez raison de le rappeler. Erevan abritera un « village de la francophonie » qui rassemblera les stands de l’Organisation internationale de la francophonie et de chacun des États et des gouvernements qui en sont membres ou observateurs. Ce sera le véritable centre des animations et des activités culturelles qui, une semaine durant, rythmeront la vie de la capitale arménienne et mettront en valeur la diversité culturelle de la francophonie. Le concert de gala qui sera organisé avec la participation d’artistes de renommée internationale venant des différentes régions de l’espace francophone constituera un autre temps fort.
J’exprimerai un dernier souhait : que ce Sommet soit l’occasion, pour tous ceux qui l’honoreront de leur présence, de découvrir les trésors du patrimoine culturel et naturel de mon pays.
P. I. — Votre dernier mot, Monsieur le Premier ministre ?
N. P. — Au risque de me répéter : que vive longtemps cette francophonie des peuples à laquelle nous sommes tant attachés !
(1) le Centre Tumo propose aux jeunes de 12 à 18 ans une formation gratuite et sans sélection à l’entrée dans les domaines des arts et des technologies. les cours ont lieu après l ’école.