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Unesco-OIF : une coopération fructueuse

Politique Internationale La Francophonie occupe-t-elle une place particulière au sein de l’Unesco ?

Audrey Azoulay — La francophonie est un espace culturel très vaste et hétérogène et, en même temps, unifié par l’usage d’une même langue. De Wallis-et-Futuna à Djibouti, du Québec à la Nouvelle-Calédonie en passant par le Mali ou les Comores, on pense dans la même langue, on lit, on écrit, on dialogue dans la même langue — maniant ainsi des références lexicales, littéraires et historiques communes. Cette unité dans la diversité, l’Unesco la défend et l’encourage. Notre organisation comprend la diversité culturelle comme une réalité qu’il faut préserver et comme une valeur qu’il faut respecter et cultiver car elle porte au dialogue, à la coopération, à la paix. L’unité que crée la langue française au sein du vaste ensemble de la francophonie facilite ce dialogue au-delà des différences nationales et culturelles.

L’Unesco possède en son sein un Groupe francophone qui offre un cadre de réflexion et d’échanges privilégié aux délégations permanentes des pays membres et aux observateurs de la francophonie. Ce groupe fait vivre la francophonie, au sein de l’institution et en dehors, et organise par exemple chaque année la Journée internationale de la francophonie.

Enfin, de manière très concrète, le français est l’une des deux langues de travail officielles de notre organisation et l’Unesco veille à respecter l’équilibre linguistique entre le français et l’anglais, aussi bien dans la préparation de documents de travail que dans la gestion des affaires courantes.

La francophonie occupe donc une place particulière au sein de l’Unesco, que renforce encore l’importance que nous accordons par ailleurs au continent africain dans nos programmes d’aide au développement éducatif et culturel. Mais cette importance ne doit pas occulter la place qu’occupent les autres ensembles culturels et linguistiques comme le monde hispanophone ou le monde arabe.

P. I. Quels sont les liens entre l’Unesco et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ? Y a-t-il des points de convergence entre leurs mandats ?

A. A. — L’Unesco entretient depuis de nombreuses années des liens de coopération et d’amitié étroits avec l’organisation internationale de la francophonie. Ces liens remontent aux années 1970 lorsque nous avons signé un premier accord de coopération — en 1976 précisément. Cet accord a été renouvelé en 1990 et en 2000. Une collaboration continue s’est ainsi mise en place, particulièrement dans les domaines de l’éducation et de la culture, qui n’a cessé de se renforcer au fil du temps. Nous partageons bon nombre de convictions et de priorités, comme l’importance que nous accordons à l’afrique et à l’égalité des genres, qui sont au cœur du mandat de l’Unesco.

P. I. Comment cette collaboration entre l’Unesco et l’OIF se traduit-elle concrètement ?

A. A. — Par exemple, dans le domaine de l’éducation, nous travaillons ensemble, dans des pays d’Afrique de l’Ouest, à l’élaboration de programmes de formation pour les enseignants (pour être précis, dans les pays de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO). Cette collaboration, qui implique les bureaux de l’Unesco de Dakar et d’Abuja, l’OIF et d’autres agences francophones, est au croisement de nos engagements pour l’éducation et pour l’Afrique. Nous souhaitons à l’avenir mettre particulièrement l’accent, dans ces programmes de formation, sur l’éducation à la citoyenneté mondiale et la prévention de l’extrémisme.

Nous collaborons également dans le domaine de la culture. Le texte de référence qui sert de cadre à nos actions conjointes, c’est la convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (ou convention de 2005). Ce texte à visée normative a vu le jour à l’Unesco avec le soutien appuyé des pays membres de la francophonie. L’OIFcontribue aujourd’hui fortement à la mise en œuvre de la convention, par exemple en exigeant sa ratification par tout état souhaitant devenir l’un de ses membres ou en mettant en place des programmes d’assistance technique en matière de développement culturel auprès des gouvernements — ce qui est encouragé par la convention. Notre collaboration peut aussi prendre la forme de débats que nous organisons ensemble, comme en avril 2016 sur le trafic illicite et la préservation du patrimoine culturel.

Enfin, au-delà de l’espace francophone, les négociations internationales visant à inclure la culture dans l’agenda 2030 pour le développement durable des Nations unies ont bénéficié d’un large appui de l’OIF, qui a utilisé tout son poids politique et institutionnel. La culture est désormais clairement identifiée comme un moteur du développement durable.
 

P. I.L’Unesco et l’OIF coopèrent-elles dans d’autres domaines que l’éducation et la culture ?

A. A. — Nos organisations sont particulièrement engagées dans la défense de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. par exemple, nous avons organisé ensemble, à Bamako et à Ouagadougou, des séminaires de formation à destination des forces de l’ordre sur la liberté de la presse et la sécurité des journalistes. Nous avons également coopéré autour d’un séminaire sur le renforcement des systèmes judiciaires, à Arusha en Tanzanie.

L’égalité des genres et la promotion de la jeunesse sont également des sujets qui nous rassemblent et pour lesquels nous avons des objectifs communs. Ce sont des domaines clés dans la promotion de la paix et la construction de sociétés plus justes et soutenables. L’OIF a, par exemple, apporté son soutien au 9e forum des Jeunes organisé par l’Unesco, une initiative qui cherche à donner une voix aux jeunes de toutes les régions du monde en faisant d’eux nos partenaires, ce qui doit aboutir au développement de priorités et de recommandations visant à guider les actions de l’Unesco.
 

P. I.Quels sont les projets et les aspirations de l’Unesco pour la Francophonie ?

A. A. — Nous souhaitons approfondir notre collaboration avec l’OIF car elle permet de renforcer notre action dans le monde francophone, de développer des laboratoires de réflexion comme ceux organisés en 2015 et en 2016 sur la « littératie du futur », de mettre en commun nos forces et nos capacités pour travailler ensemble et d’augmenter notre impact sur le terrain.

Plus généralement, les mandats de l’OIF et de l’Unesco se retrouvent sur de nombreux sujets, notamment la diversité culturelle, les droits de l’homme et la paix. Les possibilités de collaboration sont riches et multiples.
 

P. I.Quelle est votre vision du rôle de la Francophonie dans le monde d’aujourd’hui ?

A. A. — La mission contemporaine de la francophonie peut se définir comme un renforcement des liens qui unissent une même communauté linguistique, comme l’approfondissement du dialogue et des échanges qui animent cet espace — et, notamment, de ces échanges intellectuels qui m’ont tant apporté personnellement. c’est aussi une communauté qui vient en appui au projet de multilatéralisme qui est au cœur du mandat d’organisations telles que l’Unesco, et qui vient renforcer la conviction que c’est en travaillant ensemble que nous pouvons faire face aux défis de notre époque. Je considère donc que c’est une communauté qui porte une responsabilité et un projet tournés vers le futur. Cependant, l’histoire de la francophonie et de la diffusion de la langue française est aussi marquée par le colonialisme, la violence et l’oppression. Il ne faut pas oublier la face sombre de la construction de cet espace désormais appelé francophonie. afin de valoriser au mieux toute la richesse de cette communauté, il nous faut aussi reconnaître et aborder ce passé.